La ferme où l'on "trait" cobras, mygales, scorpions...
Dans cette «ferme» un peu spéciale de Montrœul-au-Bois (Frasnes), la traite des cobras, mygales, scorpions, abeilles… a remplacé celle des vaches ou des chèvres!
Publié le 04-11-2013 à 11h32
Milking (traire), c'est bien le terme anglais utilisé pour définir l'acte d'extraction du venin d'un animal en vue de le commercialiser auprès d'instituts publics de recherche ou de laboratoires pharmaceutiques. «Pour la plupart, les animaux naissent en captivité dans notre élevage. D'autres nous ont été cédés, parfois après saisie. On peut garantir leur origine à nos clients, explique Rudy Fourmy, le directeur de la société Alphabiotoxine : il est également essentiel de respecter, de bien nourrir et de bien soigner nos pensionnaires, qui sont hébergés dans des loges individuelles.»
L’entreprise occupe désormais avec ses salles de (re)production et de quarantaine et son laboratoire, les deux niveaux de l’ancienne grange habilement réaménagée.
Tout l’appareillage d’extraction et de transformation est conçu, réalisé sur place, avec un ami électromécanicien notamment.
Chez les serpents et les scorpions, le prélèvement s'effectue en général par massage des glandes. «Pour d'autres espèces, on utilise la stimulation électrique. L'impulsion est la plus faible possible afin de ne pas nuire à l'animal et de ne pas altérer les caractéristiques de son venin . Nos maîtres mots sont éthique , service et qualité. Une politique primordiale si nous voulons poursuivre notre croissance. » Après moins de quatre années d'activité seulement, le Montrœulois a gagné son pari : si la performance commerciale peut encore être améliorée, la petite firme frasnoise grignote, grâce à une excellente réputation et sa faculté d'adaptation, de plus en plus de parts sur le marché européen: «Ca va même un peu trop vite !»
Après le venin de serpents, de lézards, de batraciens, de scorpions, d'araignées, d'hyménoptères (des ruches ont même été installées au fond du jardin par celui qui a suivi des cours d'apiculture), de scolopendres, de phasmes – il est même possible de fournir du plasma, ou sur demande, du fil d'araignée ou de la soie, Alphabiotoxine étend aujourd'hui ses activités aux organismes marins : « Avec une équipe de plongeurs, dont certains collaborateurs, nous avons procédé à la collecte d'anémones, poulpes, mollusques, méduses… en Méditerranée », explique le Frasnois, occupé à installer un aquarium afin d'y accueillir des poissons-pierres.
De belles perspectives semblent s'ouvrir en matière de découverte de nouveaux traitements médicamenteux (aux effets secondaires réduits) utilisant des peptides issus de venins. La Communauté européenne finance des projets de recherche et l'industrie biochimique s'intéresse à leurs effets insecticides. « Six médicaments (diabète, hypertension, anticoagulant…) provenant de molécules issues de venin sont déjà vendus dans nos pharmacies», précise Aude Violette, une spécialiste qui a quitté sa société pour rejoindre l'équipe, lui offrant «une fameuse plus-value.»
Une toxine isolée du venin d’un scorpion pourrait aider à lutter contre le cancer, celui du mamba permettrait de mettre au point un antidouleur. Sur deux cent mille espèces venimeuses, seules 2 000 ont été étudiées : il y a de la marge!
Alphabiotoxine, qui a déjà eu les honneurs du Monde et bientôt de France 5, n'est peut-être qu'au début d'une grande et belle aventure…
Un véritable travail d'équipe
Le directeur Rudy Fourmy peut compter sur des collaborateurs ou intervenants réguliers tous très compétents. Ainsi, le staff d’Alphabiotoxine se compose de : – Aude Violette, docteur en chimie – responsable scientifique. Elle a travaillé dans divers laboratoires en France, Australie et Suisse avant de venir s’installer en Belgique; – Joël Peerboom, biologiste – coordinateur de la section «Arthropodes». Il a longtemps vécu aux Philippines et est le découvreur de deux espèces de mygales de l’archipel, dont une porte son nom : Selenocosmia peerboomi et Orphnaecus philippinus. On peut y ajouter quatre autres nouvelles espèces non décrites à ce jour. Il est secondé par Benoit Ménart traite et maintenance des arthropodes) et Eddy Lebbas (élevage), qui a reproduit de nombreuses espèces d’araignées en captivité dont certaines pour la première fois en Europe. – Vincent Drèze, le responsable de la section «Serpents» (gestion de la collection et milking), peut être crédité du même succès. – Xavier Duarene, intervenant Hymenoptères – conduite du rucher. Les autres personnes sont des intervenants occasionnels qui sont un vétérinaire (suivi de l’élevage), un taxonomiste (certification de conformité et authenticité) et un ingénieur (conception, réalisation et maintenance du matériel delaboratoire).

100 000 euros le gramme
Le prix de vente d’un venin peut atteindre cent mille euros le gramme...mais le client n’achète généralement qu’un milligramme (100 €) ou deux, ce qui lui permettra de mener ses recherches pendant plusieurs mois.
Du plus petit au plus grand
Afin de récolter quelques grammes de venin, il s’avère nécessaire de traire des centaines de veuves noires, «de la taille d’une noisette» ou de leurrer de petits coquillages du Pacifique. À l’inverse, avec son mètre cinquante et ses trois kilos, la vipère du Gabon fait figure de «géant» de la ferme. Elle peut produire chaque mois jusqu’à un gramme de venin sec.
Nul n’est prophète... en son repaire
Aujourd’hui, Aphabiotoxine est aidée par l’AWEX, ce qui a permis notamment à Rudy Fourmy d’accéder à d’indispensables cours d’anglais à moindre frais. Pourtant, à ses débuts en 2009, le Montroeulois ne s’est pas senti tellement soutenu, estimant même qu’on tentait de lui mettre des bâtons dans les roues. Des tracasseries de type administratif lui ont coûté un premier contrat intéressant. Son grand défi était par ailleurs de parvenir à convaincre les riverains de son labo - une pétition avait même circulé - qu’ils ne courraient pas le moindre danger, le bâtiment faisant l’objet de nombreuses mesures de sécurité (sas, aucune ouverture, ni tuyau… ) tandis qu’un protocole très strict est observé par ceux qui pénètrent à l’intérieur. Il n’y est pas parvenu totalement, comme en témoigne encore une plainte récente (NDLR. Qui n’a rien donné). Pourtant, l’établissement est très régulièrement contrôlé (pompiers, police locale et fédérale, Région wallonne...) et soumis à des audits par divers organismes: protection et bien-être animal, Afsca, etc. Des chercheurs et des équipes scientifiques se déplacent du monde entier pour visiter les installations de la rue Barberie, y effectuer des prélèvements..., ce qui permet de considérer le fondateur d’Alphabiotoxine comme un bon ambassadeur de l’entité frasnoise.
Un nouveau bâtiment?
Dans un secteur si singulier, difficile de prévoir ce que sera l’évolution de la société à moyen terme. Néanmoins, du jour au lendemain, en cas de découverte d’une utilisation nouvelle d’une molécule, la société pourrait être sollicitée pour des commandes importantes, nécessitant son développement. Un projet de nouveau bâtiment zéro rejet pour l’environnement est dessiné, prêt à sortir des cartons.