«Le centre de Bruxelles n’attire plus les lecteurs dans les librairies»
Le marché du livre est en crise. Amazon et les grandes surfaces culturelles sont pointées du doigt. Mais dans le centre de Bruxelles, l’attractivité commerciale aux abords de la Bourse serait autant responsable de cette désertion des librairies. Et le touriste ne rattrape pas le coup.
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Publié le 07-03-2013 à 12h14
La Foire du Livre s’ouvre à Bruxelles. Barnum médiatico-culturo-commercial, il déplace les poids lourds de l’édition à Tour & Taxis. Mais derrière les locomotives comme Marc Levy ou Joël Dicker, les libraires traînent la patte. Amazon est pointé du doigt. Les grandes surfaces culturelles aussi. Mais sont-ce là les seules raisons du ralentissement de la consommation de livres? Pour le savoir, nous avons discuté avec le spécialiste BD Frédéric Ronsse, patron des magasins Brüsel du Boulevard Anspach et Flagey, qui participe aussi ce week-end au premier Formidable salon de la BDau Heysel.
Frédéric Ronsse, vous êtes patron des librairies BD Brüsel. Le marché de la BD à Bruxelles est-il touché par ce qu’on appelle "la crise du livre"?
Dans mon p’tit cas personnel, je dirais qu’au-delà du net et de la numérisation, la situation du centre-ville de Bruxelles pèse aussi sur la fréquentation. Les aménagements de mobilité du Boulevard ou la nature des commerces provoquent un changement de profil de la clientèle.
La BD ne serait plus aussi grand public?
Bien sûr que si.Mais les familles ne descendent plus dans le centre. Pourquoi croyez-vous que j’ai ouvert un magasin à Flagey? Ses abords sont bien plus accueillants. Les comptages d'Atrium le montrent.Et l’offre commerciale et culturelle y est bien plus attrayante pour la classe moyenne consommatrice de livres.
Le centre de Bruxelles n’est plus attirant? Vous êtes pour le piétonnier?
Un piétonnier, je suis à 100% pour. La piste cyclable aussi.Mais pour quoi faire? C’est ça la question. Acheter des clopes et des bières en canettes? Se promener au milieu des night-shops et des bars interlopes sur des trottoirs dégueux? McDo, H&M, Hard Rock Cafe, Pizza Hut...C'est ça la culture bruxelloise?A quoi ça sert, un Zara tous les 500m?Les loyers sont impayables mais les nigh-shops peuvent se le permettre? Comment ça se fait?Je suis pas sûr qu'il valent toujours cette somme d'ailleurs...
Le centre manque donc de points d'intérêts, de commerces qui se distinguent...
Il faut décloisonner les quartiers, pas ghettoïser.L'insécurité vient aussi de la qualité des commerces.Car c'est quoi la réalité du Pentagone?Des milliers de navetteurs de jour, mais la nuit, c'est autre chose. Je suis un pur Bruxellois de la Place Anneessens, je sais de quoi je parle.C'est pour ça que ça me tient si fort à coeur. J'ai besoin de commerces de jour.Les librairies de seconde main, c'est parfait pour moi.C'est pas de la concurrence.Un Carrefour va peut-être s'installer à côté du magasin.Avant, j'aurais pesté.Mais là, je suis heureux.
Culturellement, c'est assez pauvre aussi...
On a loupé le coche avec le Musée Tintin il y a 10 ans. Et tous les musées se concentrent dans le haut de la Ville.La Ville de Bruxelles a racheté la Bourse.Mais pour quoi faire?Et quand?Un musée de la bière pour lequel InBev donne des millions annuellement à la Ville, je suis pour! La Bourse doit devenir un but.Aujourd'hui, c'est une pissotière.Elle ressemble à un aéroport d'ex-Yougoslavie avec ces bornes en béton partout.Mes clients me le disent. Et à part quelques concerts classiques, elle reste vide.Pourtant, j'ai proposé un projet dynamique, avec des stars de la BDcomme Schuiten ou Geluck.La Ville n'est pas intéressée.Et les touristes quand ils débarquent du Thalys, à Midi, ils voient quoi? Alors pour quoi les classes moyennes de Saint-Gilles, Forest, Uccle ou Ixelles se déplaceraient-elles encore dans le centre?Pour l'AB, oui: merci la Communauté flamande!
Si ces clients ne viennent plus, que vous reste-t-il?
On assiste à une baisse des ventes des gros classiques. Par contre, les artistes un peu alternatifs comme Bastien Vivès ou les comics marchent mieux. Ça demande à nouveau un vrai travail de libraire, c’est le positif de la chose. Car les fans acharnés de BD habitués du magasin, eux, continuent de venir.
Et les touristes?
C’est bête à dire, mais pour lire une BD, il faut savoir lire. Donc pour les touristes, déjà, il y a la barrière de la langue. Je vends du francophone. Un peu de néerlandais et d’anglais, mais c’est à peu près tout. De plus, avec la crise en Europe, le touriste italien ou espagnol, il n’existe plus. Et le touriste chinois, il n’existe tout simplement pas. Il doit faire Amsterdam, Paris et Bruxelles en 24h donc il achète du chocolat, de la bière, fait son p’tit tour au Sablon puis s’en va.
Et le livre à prix unique, pour concurrencer les grandes surfaces, vous en pensez quoi?
Je suis absolument pour. Cette concurrence impossible, c’est un énorme problème pour tous les libraires, petits comme gros. Quand Amazon vend son livre à 15€ sans frais de port, comment voulez-vous concurrencer? La Fédé Wallonie-Bruxelles qui veut aider les libraires à être présent sur le web, c’est bien beau, mais avec Amazon qui massacre le marché, ça va avancer à quoi? Le problème, c’est que jamais un politicien n’aura le courage de voter une loi qui demande au consommateur de payer plus.
Vous craignez pour l’avenir?
Je fais partie du syndicat des libraires. Je vois la motivation des petits indépendants à Liège, Namur, Huy ou Arlon. Ils font un travail exceptionnel. Mais s’ils ferment, quand les clients se tourneront vers Amazon, ça sera pour Harry Potter et basta. Une grosse partie de la création artistique et littéraire sera touchée. Le boulot d’écrivain va disparaître, la création dans l’édition aussi. Ecrire pour un écrivain deviendra un hobby. En Angleterre, il n’y a plus de libraire: tout le monde achète son Harry Potter sur Amazon.
Le livre va si mal?
Plus personne ne va entrer dans une librairire pour acheter Flaubert.Mais le secteur jeunesse par exemple, se porte mieux que jamais.Même avec la tablette, le libraire continuera toujours à jouer ce rôle de transmission du goût pour l'objet-livre entre génération.Car soyons honnête: le livre numérique, c'est la moitié seulement du livre: le contenu, pas le contenant.
+ La librairie Brüsel sera ce week-end au premier Formidable Salon de la BDde Bruxelles, organisé au Heysel du 8 au 10 mars, en marge du salon Made In Asia.Avec comme invités de prestige, entre autres, Trondheim, Nine Antico, Boulet, Charles Berbérian, Etienne Davodeau, Mathieu Sapin ou Barbara Canepa.Entrée 10€.
+ Brüsel organise aussi une expo BDCul du 8 au 22 mars dans sa galerie du Boulevard Anspach.Soirée coquine prévue ce vendredi 8 mars au Potemkine, à deux pas de la Porte de Hal, dès 21 heure