Tunisie: d'un tyran à l'autre
De Ben Ali à Kaïs Saïed, le pays à l'origine des printemps arabes est rattrapé par un autoritarisme pernicieux.
Publié le 02-03-2023 à 20h47 - Mis à jour le 03-03-2023 à 07h18
:fill(000000)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/H7X3CUWPK5HQND6F7GO4CTMFJA.jpg)
En plus de la pauvreté et de l’injustice dont il était victime, c’est un sentiment d’humiliation qui a poussé le jeune Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant de fruits et de légumes à Sidi Bouzid, en plein centre de la Tunisie, à s’immoler devant le gouvernorat de la région. Son geste, désespéré, puis sa mort, n’auront pas été vains : ils ont permis l’expression de l’immense colère des Tunisiens à l’encontre du pouvoir corrompu, à l’époque concentré dans les mains du président Zine el-Abidine Ben Ali. La suite est connue : c’est le début des printemps Arabes, avec tout ce que ceux-ci ont charrié d’espoirs et de désillusions.
L’actuel président tunisien Kaïs Saïed n’est pas l’héritier direct de Ben Ali, mort en exil l’année de son accession au pouvoir (2019). Mais, comme lui, il n’a pas hésité à jouer du coup d’État pour parvenir à ses fins, et il a bénéficié (jusqu’ici) de l’assentiment de certains partenaires européens, rassurés que les islamistes soient tenus à l’écart du pouvoir, même par des autocrates en puissance.
C’est qu’en fait d’autocrate, on a affaire, avec Kaïs Saïed, comme avec Ben Ali, à un autoritarisme "présentable". Qui s’habille d’un costume cravate plutôt que d’un treillis, et qui ne dézingue pas ses opposants à coups de kalashnikov, préférant l’ombre et la discrétion des services de sécurité intérieure.
Comme toujours, tout est "couvert"par la loi ; en bon constitutionnaliste, Saïed s’est assuré que rien de ce qu’il fait actuellement ne puisse être contrecarré par voies légales - et encore, même quand c’est le cas, celui-ci sait faire la sourde oreille. Reste la rue, que le président tunisien ne compte pas laisser à ses opposants, pour l’instant empêchés de manifester.
L’avenir dira si ce durcissement répressif, qui s’accompagne ce coup-ci d’un racisme très "Zemmourien" à l’encontre des migrants subsahariens (lire en p12), permettra à Saïed de se maintenir au pouvoir. Il y a lieu d’en douter : la seule voie d’apaisement durable serait une éclaircie économique, qui semble complètement hors de portée alors que le pays attend toujours un important soutien financier du Fonds Monétaire International. Pour le reste, l’humiliation du peuple ne semble jamais très loin. On sait ce que cela peut donner, en Tunise comme ailleurs.