La dernière médaille soviétique
Pendant presque vingt ans, de 1947 à 1965, l’Union soviétique n’a, officiellement, pas célébré sa victoire sur le régime nazi, actée avec la capitulation de l’Allemagne le 8 mai 1945 (le 9 mai, si l’on se règle sur l’heure russe). Ce n’était pas une amnésie passagère : vingt ans, c’est long. Qu’a-t-il bien pu se passer ? Rien, ou presque. Affaires courantes. Une guerre bien froide contre un nouvel ennemi, resté le même depuis lors. La mort d’un tyran paranoïaque, Staline, qui avait si peur de son entourage hautement militarisé – et désireux de prendre sa place – qu’il évita de lui faire la courte échelle avec une commémoration à laquelle les gradés auraient pu être associés de près ou de loin.
Publié le 09-05-2022 à 06h00
:format(jpg):focal(235x245:245x235)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/M62U3INDV5AVDGH3Z4GEOR276A.jpg)
En fait, le retour de la commémoration du "jour de la victoire", initié par Leonid Brejnev en 1965, symbolise surtout la fin des illusions , celles de la révolution d’octobre 1917.
Vingt ans après la victoire sur les nazis, Brejnev, faute de concrétiser des promesses intenables, a choisi de raccrocher l’URSS à ce qu’elle possédait de plus glorieux et de plus brillant. Comme par hasard, cela a coïncidé avec une mise au pas de la vie culturelle soviétique et à une forme de réhabilitation de Staline. Cela n’a pas empêché le rêve soviétique de se transformer en cauchemar, jusqu’à l’effondrement de l’édifice. Mais la médaille, celle du "jour de la victoire", a continué de briller, et qu’importe si une autre date-clé a, depuis lors, fait irruption: celle du 12 juin1990, dénommée depuis 2002 "jour de la Russie", et qui désigne le moment où la fédération russe s’est – en théorie – émancipée de l’idéologie soviétique. En réalité, dans le cœur de Poutine, comme dans celui de beaucoup de Russes, la véritable fête nationale est restée celle du 9 mai. Pour le soixantième anniversaire de la capitulation nazie, en 2005, une cinquantaine de dirigeants, dont beaucoup d’Occidentaux, avaient répondu à l’invitation du maître du Kremlin, assistant à la gigantesque parade des quelque 16000 militaires venus battre le pavé à Moscou. Dix ans plus tard, en 2015, après l’annexion de la Crimée, ils n’étaient plus qu’une trentaine – et les rangs des Occidentaux étaient déjà bien dégarnis. Ce 9 mai, il n’y aura plus que Poutine.Et si le dernier vestige soviétique, c’était lui?