Les casseurs étaient 30 à tout casser
La manif nationale s’est terminée en échauffourées. Un épilogue malheureux, mais anecdotique dans son ampleur et ses conséquences. Oublions-le et souvenons-nous plutôt des slogans désespérés des travailleurs belges.
Publié le 24-05-2016 à 17h18
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Le type est tout en noir. Il se balade entre les casseurs, qui caillassent, et les autopompes qui crachent sous le viaduc du Midi. L’homme profite d’une accalmie pour trimballer une ardoise anthracite empruntée à un bistrot. Dessus, en lettres blanches à la craie, une petite phrase lourde de sens. Ni à destination des flics, ni des manifestants, ni même des politiques, mais à destination des preneurs d’images: «photographiez les 100.000, pas les 100».
On corrigera les chiffres. Il n’y avait pas 100.000 manifestants dans les rues de Bruxelles, mais 60.000. Et les casseurs étaient 30, à tout casser. Mais sur le fond, l’homme a raison. Dans le feu de l’action, porter l’objectif sur ces échauffourées est un reflex compréhensible. Surtout après la castagne monumentale que les dockers anversois avaient déclenchée Porte de Hal, en novembre 2014. Pourtant, ça serait se tromper de focale.
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«Des p’tits cons»
Car la manif nationale de ce 24 mai a défilé sans histoire. Avec pour seules armes des slogans souvent drôles, des porte-voix éraillés, des pétards tonitruants et quelques cannettes même pas fraîches. Dans les coupe-vent rouges, verts et bleus, des Belges, jeunes ou un peu moins, dont très peu ont court-circuité les 4,5km de cortège pour s’attabler en terrasse. Ces travailleurs et travailleuses se disent écœurés, épuisés, pessimistes et remontés. Mais pas au point de se masquer et de se casquer pour transformer leur randonnée syndicale en expédition punitive.
«C’est débile, ça fait chier», pestent ces deux employés du secteur hospitalier liégeois. Atterrés, ils sont, alors qu’ils loupent leur train à cause des cordons bleu marine. «Qu’est-ce qu’on va voir à la télé ce soir? Les p’tits cons qui bossent même pas et qui viennent se prendre leur dose d’adrénaline contre les flics. Et le message des 60.000, il passera au second plan».
À la grosse louche
Avec un commissaire médiatisé blessé en pleine tête et évacué le crâne en sang, la crainte se justifie. Avec la riposte arrosée des camions de la réserve fédérale aussi. Mais que pouvaient faire les policiers pour ne pas bloquer le boulevard du Midi toute la nuit? Tout le monde attendait «que ça démarre». Les esprits bouillants avaient trouvé en une centaine de journalistes et quelques milliers de manifestants en fin de parcours, un public acquis à leur cause. Alors en face, comment manœuvrer, sinon en évacuant la zone de dislocation de la manif à la grosse louche, embarquant dans un même mouvement, casseurs et manifestants, presse et riverains, navetteurs et touristes?
C’est sûr, il y a eu du dégât. Trois panneaux publicitaires ont volé en éclats. On a vu des doigts dressés, des toilettes mobiles couchées, des bouteilles exploser, des œufs éclater. Des bananes dégainées aussi, avec des sourires. Un gradé est reparti avec un souvenir au front, et des manifestants les yeux pleurant le spray au poivre. Mais ne retenons rien de tout ça. Ça ne serait pas rendre service aux 59.970 travailleurs qui rentrent chez eux, en Wallonie et en Flandre, avec pour seul espoir, de ne pas s’être cassé la voix, et rien que la voix, en vain.