Sécurité : « à cette sécurité-là / messieurs dames qui pour nous gouvernez / je n’y crois pas »
C’est un texte cruellement d’actualité où l’obsession de la sécurité est raillée. Ce sont des mots qui replacent une autre sécurité (celle que l’on dit «sociale») au centre des priorités. Laurence Vielle, poétesse nationale, livre une deuxième fulgurance littéraire très en verve après son intronisation survenue en janvier dernier. Écriture chantante, musique des mots, l’art de l’écrivaine sonne à l’oreille comme il stimule les neurones.
Publié le 21-03-2016 à 07h58
sécurité
tranquillité
d’esprit
donnez-moi un peu de
tranquillité d’esprit
messieurs dames sans état d’âme
moi j’ai besoin
d’un toit
de quoi manger pour mes enfants
des soins et peut-être un
jardin à cultiver
nommez dans mon pays
un ministre au bonheur
pour ma sécu/sérénité
et coeur ouvert à l’autre
et voyager aussi
guetter biches et nuages
des chemins pour marcher
relier sans boucan
des bancs jolis pour se parler
des arbres à nos côtés
pour nous pousser à demeurer
apprenez-moi musique
apprenez-moi poèmes
avivez nos désirs
de beauté
vous dites chaque jour
«il faut oser encore
faire des économies
le coût de la sécu
il ne fait que grimper
arrêtons cette hausse»
et la sociale sécurité
qui partage bien-être
pour tous, forts et fragiles
qui porte paix à l’âme
s’étrique encore un peu
tandis que meurt de froid
un homme dans ma cité
l’autre sécurité
vous nous la brandissez
tanks tanks sur nos pavés
«citoyennes citoyens
pour votre bien nous débloquons
millions millions d’euros
sécu sécucu sécurrr
sécuritétététététété tétététététététété
c’est pour votre sécucurrritétététététététété»
père mère toute la famille
devant télé a peur
reste chez soi
à cette sécurité-là
messieurs dames qui pour nous gouvernez
je n’y crois pas
© Photo : Manon Walkise