Construction, médecine, mode, cosmétiques, etc., les superpouvoirs des champignons offrent de nouvelles solutions (vidéo)
Les champignons sont dotés de superpouvoirs, parfois méconnus. Ils ont pourtant une multitude d’applications possibles. À Bruxelles, Permafungi a décidé de s’en servir… pour créer des panneaux d’isolation.
Publié le 18-03-2023 à 07h00
S’il aura fallu attendre la fin du XVIIIe siècle pour voir apparaître la mycologie – le règne des champignons ne sera quant à lui suggéré qu’en 1969 –, l’homme s’intéresse depuis des milliers d’années déjà aux vertus, nombreuses, des champignons. De multiples exemples dans l’histoire attestent d’ailleurs de leur utilisation autre qu’alimentaire.
"Que ce soit à la préhistoire, dans l’Égypte ancienne ou encore chez les Romains, on a découvert que certains champignons étaient utilisés pour leurs propriétés médicinales notamment. On a retrouvé sur Ötzi (la momie des Alpes datant de 3300 ans av. J.-C.) des traces de polypores de bouleau, qui sont antiseptiques et anti-inflammatoires", explique le mycologue Gabriel Castillo Cabello. Aujourd’hui, les champignons continuent de fasciner.
Les pleurotes de Permafungi
Ces dernières années, les champignons semblent susciter à nouveau davantage la curiosité des chercheurs ; et leurs superpouvoirs inspirent de nombreux projets dans des domaines divers. Comme celui de Permafungi et de ses panneaux d’isolation… à base de pleurotes.
C’est à Bruxelles, dans les caves situées sous le site de Tour & Taxis, que l’entreprise a décidé de s’installer. Fondée en 2013, Permafungi s’est d’abord spécialisée dans la culture de champignons, des pleurotes précisément, en utilisant comme substrat du marc de café recyclé, réutilisé ensuite comme engrais naturel. Depuis 2019, elle s’est lancée dans un projet beaucoup plus innovant: la construction de mycomatériaux, des matériaux fabriqués à partir de champignons. Ces mycomatériaux, Permafungi les décline en abat-jour pour les luminaires, en packagings ou encore en panneaux d’isolation pour les maisons. Et l’entreprise bruxelloise nourrit de grandes ambitions à leur égard. Il faut dire que les avantages de ces mycomatériaux sont nombreux.

Un adieu au plastique ?
À commencer par leur aspect écologique et durable: ils ne sont composés que de matières naturelles, et sont non polluants et biodégradables. Ignifuges, imperméables et résistants, les mycomatériaux pourraient, selon Permafungi, parfaitement remplacer le plastique sur le long terme. Ils produisent dix fois moins de dioxyde de carbone (CO2) et utilisent environ huit fois moins d’énergie que la production de mousse de polystyrène. Ils sont aussi, pour les panneaux, d’excellents isolants thermiques et acoustiques.

Le problème, c’est qu’ils coûtent cher comparativement à d’autres solutions d’isolation. Permafungi désire donc les rendre plus accessibles. "On a le projet d’industrialiser notre production de mycomatériaux pour les packagings et les panneaux d’isolation, avec l’objectif, d’ici fin 2025, de produire 12 tonnes de mycomatériaux par mois. Permafungi a reçu un subside de 2 millions d’euros dans le cadre de Life, le programme pour le climat et l’environnement de l’Union européenne : ça devrait aider à concrétiser nos ambitions", explique Julie Jacqmain (photo), responsable de la communication pour Permafungi.
La fabrication de mycomatériaux
Les premières étapes de la fabrication de ces mycomatériaux sont semblables à celles de la culture de pleurotes. Et pour cause, ce sont ses déchets qui vont servir de base à la réalisation d’abat-jour, de panneaux d’isolation, etc.

Inoculation
"On réalise d’abord la phase d’inoculation. En laboratoire. On mélange le marc de café, la paille, l’eau et du mycélium (la “semence” du champignon), et on place ensuite ce substrat dans un sac en forme de boudin", détaille Julie Jacqmain.

Incubation
Vient ensuite la phase d’incubation : les sacs sont plongés dans le noir. Une forte odeur de marc de café et de paille s’en dégage. Les sacs, suspendus, y resteront deux semaines environ, "le temps que le mycélium ait colonisé l’entièreté du substrat en mangeant et décomposant le marc de café".

Fructification
"Quand le mycélium n’a plus de nourriture, explique la responsable communication, il est temps de passer à la fructification." Dans cette pièce, les conditions sont différentes: il y fait plus froid, plus humide, et surtout il y a de la lumière. "Ce choc entraîne la pousse des champignons. On fait des incisions sur les sacs pour les aider à sortir. Au bout de cinq jours, ils seront prêts à être récoltés. Après trois fructifications, les substrats sont utilisés comme base pour les mycomatériaux."

Séchage
Pour être transformé en mycomatériaux, le substrat recyclé est d’abord effrité et nettoyé. Et on y ajoute à nouveau du mycélium. Il n’y a plus qu’à le verser dans un moule de la forme qu’on veut obtenir… et attendre.

Le mycélium va se développer pendant une semaine et puis on mettra la préparation à sécher, avant que ne puisse commencer la phase de fructification. En séchant, le panneau devient de plus en plus blanc: c’est le mycélium qui s’est répandu, il a mangé toute la nourriture disponible. Le résultat s’approche beaucoup visuellement et au toucher de la frigolite, "et il présente une croûte, un peu comme celle du camembert ou du brie", pointe Julie Jacqmain.

Des champignons pour embellir la peau
Riches en antioxydants, les champignons sont aussi en train de conquérir le monde de la cosmétique. Un produit miracle ? On fait le point avec une dermatologue.

Si on vous parle de shiitake ou de chanterelle, vous pensez certainement à une omelette ou à un risotto. Mais ces champignons se trouvent désormais également dans les cosmétiques. Le chanteur Pharell Williams a lancé une routine beauté dont l’un des produits, un nettoyant, est fait à base de poudre de riz et de champignons, le Trémelle fucus. La marque Lush propose elle aussi une huile solide protectrice, nourrissante et revitalisante à base de… champignons de Paris.
Du côté des cheveux, les champignons ont aussi la cote. La marque Mádara Cosmetics a ainsi commercialisé une gamme de produits pour les cheveux destinés à réparer, nourrir et préserver la fibre capillaire à base de chanterelle. Bref, les stars des cosmétiques cette année, ce sont les champis !
Lutter contre le vieillissement
Plusieurs études ont en effet montré que les champignons avaient des propriétés intéressantes pour la peau. En 2016, un groupe de médecins a publié une étude dans la revue agronomique Industrial Crops and Product vantant les mérites des champignons pour lutter contre le vieillissement, l’hyperpigmentation et les inflammations de la peau.
En théorie, ça peut fonctionner, selon la dermatologue Lara El Hayderi.
"Les champignons contiennent des antioxydants qui peuvent aider à lutter contre le vieillissement de la peau. Ils sont également riches en polysaccharides, utiles pour améliorer le grain de peau et stimuler la production de collagène." La vitamine C contenue dans le shiitake pourrait quant à elle apporter une solution aux taches post-acné et améliorer le teint. Mais tout ça, c’est en théorie.
"Personnellement, je n’ai pas encore vu beaucoup de littérature à ce sujet. Je recommande des crèmes à base de pépins de raisins et de melon mais je n’ai encore jamais prescrit un soin à base de champignons", commente la dermatologue, qui s’intéresse aux études cosmétologiques.
Sur le papier, les champignons possèdent des caractéristiques intéressantes à utiliser mais on ne peut affirmer qu’ils ont un effet miracle. "On ne sait pas quel pourcentage ils utilisent dans les cosmétiques ", ajoute Lara El Hayderi. Elle note, toutefois, qu’une consommation régulière de champignons pourrait avoir un effet bénéfique pour la peau. "Les antioxydants qu’ils contiennent peuvent aider à lutter contre les radicaux libres. Ils peuvent aussi, pourquoi pas, améliorer la blancheur de la peau des personnes qui ont des taches pigmentaires."
À l’heure actuelle, on ne peut affirmer que les crèmes et soins à base de champignons sont une véritable révolution. Il y aurait un petit effet marketing là derrière. Cela dit, ils ne font pas partie des allergènes fréquents et n’auraient donc pas d’effets néfastes connus. C’est toujours ça de positif !
Un tas d’autres applications
Au-delà de leur utilisation nouvelle dans la mode, la construction ou les cosmétiques, les champignons présentent encore bien d’autres intérêts…
1.Nutrition
Parmi toutes leurs applications, les champignons sont aussi des aliments incontournables de la cuisine pour ceux qui les apprécient. Crus, cuits, en risotto, seulement assaisonnés de sel, poivre et ail, ou agrémentés de crème, on les déguste sous toutes leurs formes. Ce que l’on sait moins, en revanche, c’est que les champignons ont aussi des qualités nutritionnelles très intéressantes. Pauvres en calories, ils n’en restent pas moins riches en minéraux et vitamines. Le champignon blanc, par exemple, contient de la vitamine D et est aussi source de phosphore, de sélénium et de cuivre, indispensables à l’équilibre de l’organisme.

2.Engrais
Mycophyto est une start-up française qui propose d’optimiser les équilibres biologiques naturels et d’augmenter la résilience des systèmes agricoles. En clair, ils ont développé un système qui implante des champignons mycorhiziens arbusculaires (des champignons microscopiques du sol) dans les cultures pour recréer des synergies naturelles durables avec les racines des plantes. Ces champignons existent depuis des centaines de millions d’années mais ils sont aujourd’hui en quantité trop faible dans les sols. L’astuce, c’est que Mytophyto ne travaille qu’avec des champignons indigènes, déjà présents dans le sol et donc adaptés à chaque terroir.

3.Fermentation
Pas de bière sans champignon ! Pas de champagne non plus, ni de pain bien levé… Eh oui, pour obtenir une fermentation, alcoolique ou non, il faut de la levure… qui n’est autre qu’un champignon unicellulaire, microscopique. La fermentation est un processus naturel qui permet, sous l’action d’enzymes secrétées par des micro-organismes, de transformer des matières organiques. Dans le cas de la bière, la levure va permettre de métamorphoser le sucre du moût en alcool et en dioxyde de carbone, responsable de la formation de ses bulles et de sa mousse.

4.Médicaments
On oublie parfois que la célèbre pénicilline a été développée à partir d’un champignon. Le premier antibiotique n’est pas le seul auquel ont contribué nos amis au mycélium. Les statines, ces inhibiteurs de cholestérol, proviennent de moisissures qui utilisent ce composé pour détruire les membranes des bactéries. Tandis que la ciclosporine utilisée comme immunosuppresseur dans le cadre des transplantations est synthétisée par un champignon microscopique. La psilocybine, principe actif de certains champignons hallucinogènes, commence quant à elle à être utilisée en psychiatrie.
Dans le même registre, mais davantage lié au bien-être quotidien, la société Hifas da Terra propose des produits à base de champignons médicinaux. Ce ne sont pas des médicaments mais des compléments alimentaires utilisés par exemple pour réguler le microbiote intestinal ou renforcer le système immunitaire. C’est ce qu’on appelle la mycothérapie.

5.Environnement
Les projets à visée écologique qui intègrent des champignons dans leur processus sont nombreux, même si beaucoup d’entre eux restent encore confidentiels. Gabriel Castillo Cabello explique: "On n’est pas au courant de tout, mais il y a des tas de projets ; certains n’aboutiront peut-être jamais. Mais sur le plan environnemental, les champignons peuvent être très intéressants. Ils ont des propriétés de décomposition incroyables: ils sont capables de dépolluer les terres contaminées aux hydrocarbures, par exemple."
Écologiques, les champignons sont envisagés comme alternative énergétique car ils peuvent aussi servir à la fabrication de biocarburants.
Sur Netflix, le documentaire Fantastic Fungi propose de plonger dans le monde magique des champignons et de découvrir, entre autres, leurs atouts pour faire face aux défis environnementaux.