Les poches des vêtements: un héritage du patriarcat
Pourquoi les poches des femmes sont-elles plus petites que celles des hommes ? Derrière ce qui pourrait sembler être un détail se cache l’héritage de notre société marquée par le patriarcat et le sexisme.
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Publié le 14-03-2023 à 07h00
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Entre les poches cousues, décoratives et celles où on arrive à peine à glisser sa main ou son smartphone, la taille des poches ou tout simplement leur existence est une problématique dans la garde-robe féminine. Concrètement, seules 10% des poches de jeans des femmes sont suffisamment grandes pour contenir une main de femme de taille moyenne (contre 100% chez les hommes), selon une étude de 2018 du média américain de datajournalisme The Pudding, réalisée sur 20 des marques de denims les plus populaires aux États-Unis.
Les poches des femmes sont 48% moins grandes et 6% plus étroites que leurs pendants masculins. Alors, même si (comme disait mamy) "ce n’est pas beau de mettre ses mains dans les poches", reste que celles-ci sont bien pratiques dans la vie quotidienne et synonymes de liberté et d’émancipation féminine, comme l’explique Sandrine Counson, professeure en histoire du vêtement à la Haute École Libre Mosane (HELMO, Liège).
Des différences, de l’Antiquité à aujourd’hui
"La poche a toujours existé, mais elle a été cachée pendant très longtemps. À l’Antiquité, un pli formant une poche était aménagé dans les toges des hommes. Les femmes, elles, cachaient leur monnaie, etc. dans leur strophium, sorte d’ancêtre du soutien-gorge." Cette différence va s’exacerber au fil des siècles. "Les vêtements masculins et féminins vont vraiment prendre des chemins différents vers le XIVe siècle. L’homme va avoir un vêtement court, lui permettant le mouvement, et la femme va progressivement devenir un être d’intérieur. Au XVIe siècle, les poches apparaissent dans les hauts-de-chausses des vêtements masculins." Les femmes gardaient, elles, une bourse, cachée sous la robe, et accessible grâce à de grandes fentes.
Alors que la poche va fusionner avec le vêtement masculin, il faudra attendre bien plus longtemps pour que celle-ci apparaisse sur celui de la gent féminine. "C’est l’homme qui tient la bourse et a la paye, les poches des femmes ne sont pas censées contenir de choses importantes, qui leur permettraient (aussi) de prendre le large. C’est au fur et à mesure de leur émancipation, que les poches deviennent plus visibles, note la spécialiste. C’est pendant les deux guerres mondiales que les femmes découvrent le confort des grandes poches, lorsqu’elles remplacent les hommes à l’usine et enfilent leurs vêtements. Sauf qu’après la guerre, la femme est de retour au ménage et on retourne dans les travers de la société."
"Christian Dior est clairement l’homme qui va, à nouveau, entraver la femme. En voulant relancer l’industrie du textile français, après la Seconde Guerre mondiale, il va créer le"New Look": la taille est serrée, il veut sublimer les courbes des femmes, qui redeviennent bien apprêtées. Il n’y a qu’à voir les publicités des années 50, avec les femmes dans leur cuisine, maquillées, portant une jupe cloche volumineuse, la taille serrée et la poitrine gonflée. Dans ce contexte, la poche n’a pas de raison d’être sur un vêtement féminin. Elles sont des réticules (des petits sacs)."
On lui doit d’ailleurs, en 1954, cette phrase dégoulinante de sexisme: "Les hommes ont des poches pour garder les choses, les femmes pour la décoration." La femme, une simple potiche ? Dans l’esprit du couturier: tout à fait. "Au contraire, le pendant masculin, soit le costume des années 50, est plutôt large et les poches ont toute leur importance, pour pouvoir y glisser les clefs de la maison, de la voiture, le portefeuille et les cigares."