Pourquoi est-il de plus en plus compliqué de tomber enceinte ?
Depuis quelques années, on parle beaucoup de baisse de la fertilité. Fausse rumeur ou réel problème ? Est-il vraiment plus difficile d’avoir un enfant ?
Publié le 11-03-2023 à 07h00
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Dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans notre entourage… Partout, on parle de fertilité et il semble de plus en plus difficile pour une femme de tomber enceinte. Avant de tomber dans le "c’était mieux avant", plongée au cœur de la question avec Marine Guisset, docteur gynécologue spécialisée en PMA à la Clinique de la fertilité de Bruxelles.
L’âge, l’éternelle épée de Damoclès
"Les femmes ont des enfants beaucoup plus tard qu’avant, voilà la première raison, explique-t-elle. En tant que femmes, nous naissons avec une réserve d’ovocytes (les cellules reproductrices féminines) qui diminue jusqu’à la ménopause. Contrairement aux hommes, qui produisent du sperme toute leur vie, nous devons faire avec un stock défini."
Plus on vieillit, plus ces ovocytes vivent aussi des mutations (pollution, alimentation, hygiène de vie, etc.) qui font baisser leur qualité.
La difficulté des femmes à tomber enceinte viendrait avant tout des mœurs. "Il y a 30 ans, une femme attendait son premier enfant entre 22 et 25 ans. En 2022, on est entre 29 et 31 ans. Ça reste un âge très bien pour avoir un enfant, moins si on en souhaite plusieurs. Jusqu’à 35 ans, il n’y a pas trop de problèmes."
À 20 ans, une jeune femme a 25 à 30% de chance de tomber enceinte chaque mois. À 30 ans, 15%, et à 35 ans, 10%. "À partir de 35-37 ans environ, ça chute. Au-delà de 40 ans, 10% des femmes tombent enceintes, 2% des grossesses sont menées à terme." Elle rassure. "Je ne dis pas qu’il faut faire un bébé à 20 ans ou si on n’est pas prête, mais il faut penser à son désir de maternité. Être prête à 100%, ça n’existe pas."
Les raisons médicales
Au-delà de l’âge, les problèmes de fertilité ne touchent pas plus les femmes que les hommes. Chez nous, ils sont, entre 25 et 40 ans, 30% de cause féminine, 30% de cause masculine, et 40% de cause mixte ou inconnue. "La qualité du sperme a aussi radicalement baissé ces 50 dernières années."
En cause: mode de vie, alcool, cigarette, perturbateurs endocriniens… Mais comme les hommes produisent en permanence, ils peuvent se reprendre en main et ont donc plein de secondes chances. Nous pas.
Chez les femmes, on cite souvent l’endométriose. "On en diagnostique de plus en plus, parce que les femmes ont des enfants plus tard. Elle commence généralement un an ou deux après les premières règles et se développe pour devenir problématique 10 à 15 ans après. Donc avant, elle n’avait pas d’impact significatif, puisqu’elle était beaucoup moins avancée à l’âge où les femmes essayaient de tomber enceintes. On observe aussi une hausse de cas, notamment à cause de la pollution. On connaît encore peu son origine, et on ne sait pas toujours la diagnostiquer tôt car les examens sont invasifs et les symptômes apparaissent tard."
Face à tout cela, peut-on maximiser ses chances de tomber enceinte malgré tout ? "Il faut avant tout essayer d’avoir un mode de vie sain, ne pas s’angoisser avec tout ce qu’on trouve sur Internet et se tourner vers son médecin. Avoir des rapports protégés est important aussi, car de nombreuses IST et MST peuvent jouer sur la fertilité. Et enfin, de ne pas trop repousser le moment d’y penser si on veut avoir des enfants." Car si la pression de la maternité est déjà assez forte sur les épaules des femmes, la médecine ne fait pas des miracles.
Le problème des cycles irréguliers
Pour tomber enceinte, les femmes calculent souvent leur période d’ovulation, liée à leurs cycles menstruels, pour avoir un rapport au meilleur moment. Un calcul impossible pour celles, nombreuses, qui ont des cycles irréguliers.
"Les chiffres ont augmenté un peu avec le temps, notamment à cause des problèmes de surpoids, explique Marine Guisset. Aussi, 80% des femmes qui ont des cycles irréguliers les ont à cause d’ovaires micropolykystiques. C’est-à-dire qu’elles ont une réserve ovarienne importante, ce qui de base est très positif ! Le problème, c’est qu’au moment de la période d’ovulation (quand l’ovaire relâche un ovule) le calendrier est bouleversé parce qu’ils sont trop nombreux et produisent des hormones androgènes (mâles). Si normalement un ovule doit rapidement tirer son épingle du jeu et prendre l’ascendant sur les autres, ici, cela prend plus de temps ! Cela crée donc des cycles variables d’un mois à l’autre et on ne sait pas calculer sa période d’ovulation."
Y a-t-il une solution ? "Malheureusement non ; pour maximiser ses chances, le meilleur reste d’avoir des rapports deux à trois fois par semaine toutes les semaines, pour être certain de couvrir la période d’ovulation. Mais j’ai bien conscience que cela peut être pénible." Les causes de ce syndrome d’ovaires micropolykystiques sont encore à l’étude, mais une est déjà citée: l’obésité. "La graisse périphérique produit des androgènes, qui entretiennent le problème en perturbant les cycles et donc les périodes d’ovulation."
Le besoin de contrôle
Face à ces angoisses de l’infertilité, Marine Guisset pointe un autre problème: notre besoin de contrôle. "Nous vivons dans une société où nous voulons tout calculer, tout prévoir, tout avoir tout de suite. On voudrait parfois tomber enceinte la veille du jour où on commence à essayer (rires). Mais le monde d’aujourd’hui, internet, les réseaux sociaux, etc. nous donne certes beaucoup d’informations, mais également une image déformée, biaisée et idéalisée de la maternité. Il ne faut pas croire tout ce que l’on lit et voit ! Avant, on attendait deux ans avant de faire des examens de fertilité ; maintenant, on les fait après un an parce que beaucoup de personnes s’inquiètent !"
Chez ses patientes, elle observe cette pression des autres, des réseaux, ou que l’on s’inflige à soi-même. "Quand on veut un bébé, on a l’impression que pour toutes les autres, ça marche plus vite, mieux. Mais on ne parle pas de tout ce qui est compliqué. Ça reste encore tabou." Mais cette inquiétude, elle la comprend. "Malgré tout, les femmes doivent être écoutées, rassurées par leur médecin. Effectivement, parfois, il y a un problème. Cela peut être aussi dû aux cycles irréguliers. Mais s’ils sont réguliers et qu’il n’y a pas d’antécédents médicaux, il faut essayer de prendre son mal en patience."
Elle met cependant en garde contre l’idée que la médecine résout tout. "J’ai beaucoup de patientes qui réalisent à 40 ans qu’elles veulent un enfant. Nous ne sommes malheureusement pas magiciens ! La qualité ovocytaire et donc les chances de mener une grossesse à terme sont biologiques, FIV ou pas FIV. On peut aider le corps, pas créer un miracle. Les processus qui existent (stimulation, insémination, FIV) font gagner du temps, ils ne le font pas reculer."