La chasse aux odeurs corporelles: d’hier à aujourd’hui
Vous pensiez que sentir bon était une préoccupation du 21e siècle ? Vous avez tout faux. D’ailleurs, pendant longtemps une mauvaise odeur pouvait très vite vous transformer en paria. Explication avec une spécialiste des odeurs et des parfums.
Publié le 26-11-2022 à 07h00
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Quelle que soit l’époque, on se conformait aux pratiques d’hygiène de notre temps et on avait l’impression d’être propre, expose d’emblée Érika Wicky, historienne de l’art, spécialiste des odeurs et des parfums. "Sentir bon a toujours été une préoccupation et un plaisir." L’hygiène est aussi ancienne que la civilisation, tout comme l’art de se parfumer, explique cette spécialiste française, basée aujourd’hui à Rome, après un passage par ULiège. Hygiène est issue d’Hygie, la déesse grecque de la santé ; même si la manière de prendre soin de soi a varié au fil des siècles.
En Grèce antique, les bains, huiles et onguents parfumés font partie du quotidien des hommes libres, tout comme chez les Romains qui construisent d’énormes thermes et un réseau d’égouts pour évacuer les eaux usées.
Ce n’est finalement que bien plus tard que l’eau est méprisée, sous Louis XIV, le roi Soleil. En cause: les épidémies de peste. L’eau n’est alors plus considérée comme facteur de propreté mais soupçonnée d’être porteuse de maladies. "On a beaucoup soupçonné les bains publics. On s’est donc mis à arrêter d’utiliser l’eau ; préférant les frictions au vinaigre avec un petit bout de toile, d’où proviendrait d’ailleurs le mot “toilette” paraît-il."
La mauvaise odeur, vecteur de maladie
Au cours de l’histoire, la mauvaise odeur est aussi vecteur de maladie. "Il y a plein de pathologies qui se révèlent par des mauvaises odeurs et qui y sont associées. Ces odeurs faisaient craindre la contagion." Mieux valait donc sentir bon, au risque de bien des déboires.
"Ma collègue Aïcha Salmon a fait une très belle thèse sur la nuit de noce. Elle a beaucoup étudié les questions juridiques qui y sont liées, notamment au XIXe siècle. Il y avait notamment des demandes de divorces qui avaient lieu immédiatement après la nuit de noce, reposant sur la mauvaise odeur de la personne qu’il/elle venait d’épouser. L’argument étant que celle-ci révélait une maladie. Elle a trouvé ces informations de demande d’annulation de mariage dans les archives du Vatican."
Le parfum, toujours présent
"On s’est à peu près tout le temps parfumé dans l’histoire de l’humanité, aussi loin qu’on remonte. C’est assez fascinant d’ailleurs (sourire)." S’il faut attendre l’invention de la distillation pour pouvoir utiliser l’alcool comme on le fait aujourd’hui dans les parfums, les premiers usages de parfums étaient réalisés avec de l’huile et des baumes, explique-t-elle. "Le grand moyen de se parfumer au XIXe siècle était de se laver avec du savon parfumé, c’était le produit de parfumerie qui avait alors le plus de succès. Souvent, on se parfumait donc en se lavant."
À certaines époques où l’environnement ne sentait pas toujours la rose, les baumes en dé et les mouchoirs parfumés avaient la cote pour se protéger des mauvaises odeurs. D’ailleurs, si on pense aux latrines, d’autres odeurs étaient particulièrement répugnantes, souligne-t-elle, comme celle de la peinture d’intérieur aux XVIIIe et XIXe siècles.
"En général, quand on voulait se protéger des odeurs, ce n’était pas juste par délicatesse mais parce qu’elles étaient vraiment dangereuses pour la santé, pour des raisons de toxicité ou de maladies qui faisaient craindre la contagion. Maurice Maeterlinck a décrit l’odorat comme une sentinelle ou comme un hygiéniste." Rien d’étonnant qu’encore aujourd’hui, on renifle sa brique de lait avant d’en ajouter à son café.