Les étranges Noëls du bourlingueur: Philippe Lambillon nous partage ses souvenirs marquants
Philippe Lambillon se replonge pour nous dans ses fêtes de fin d’année souvent passées loin de chez lui. Du cocasse au dramatique, ses souvenirs voyagent sur la gamme des émotions.
Publié le 25-12-2021 à 12h00
Philippe Lambillon est né voici près de 70 ans à Namur, "entouré d'églises". Ce qu'il préférait par-dessus tout à l'époque, et encore maintenant, c'était les édifices consacrés aux livres. "J'étais un rat de bibliothèque qui allait se plonger dans toutes les bandes dessinées qu'il pouvait trouver, sourit-il. Avec elles, je m'évadais, j'étais transporté ailleurs. J'ai toujours vécu des rêves d'enfant. Aujourd'hui encore. D'ailleurs, lorsque les frontières rouvriront complètement partout, je serai un des premiers à partir. J'en ai besoin."
Une gourde, un chapeau, des carnets
Nourri à l'évasion, Philippe Lambillon s'est vite retrouvé sur les routes et chemins du monde, appareil photo et caméra au poing. On a vu pas mal de ses reportages/films présentés dans l'émission de la RTBF Les Sentiers du monde. Il a été journaliste, présentateur d'émissions.
Mais ce qui l'a rendu célèbre dans toute la francophonie, ce sont surtout ses célèbres Carnets du bourlingueur. Une immersion rustique dans le monde et ses coins secrets, des rencontres avec les gens les plus authentiques, des aventures par milliers. Là-dessus, une figure phare, mélange d'Indiana Jones et de Nicolas Hulot version Ushuaïa, coiffé d'un chapeau en feutre reçu lors d'un festival de films d'aventure et changé depuis plus de 30 fois à l'identique. Avec cette gourde, ce pantalon et ces godillots sortis d'un stock américain.
"L'aventure a pris fin cette année après 30 ans, 145 tournages et quelque 500 émissions, reprend le Namurois. Ce n'est pas pour cela que je me suis arrêté de travailler et que mon envie de voyager s'est tarie. Voici 18 mois que j'essaie de voyager à nouveau et que, souvent, au dernier moment, les portes se referment. Fin de cette année, je devais ainsi partir en Namibie et cela n'a finalement pas pu se faire en dernière minute. Heureusement, j'ai de quoi m'occuper, jebosse sur plusieurs choses. Une série de douze émissions de format 26 minutes durant lesquelles je m'attarde plus sur le personnage du bourlingueur (NDLR: diffusion à partir de septembre 2022 sur la RTBF). Et puis, j'écris un livre qui devrait sortir aux alentours de la même période, toujours sur le même thème. Lorsque l'on sait combien de temps il faut pour préparer sur place, puis tourner une émission, il a vécu plein de choses ce bourlingueur, personnage de fiction, je le rappelle. Sa personnalité a évolué. C'est plus cela que je voulais désormais raconter. On ne sera plus dans le canevas des Carnets."
En famille depuis 2001
Dans cet univers fait de voyages, Philippe Lambillon s’est souvent retrouvé à l’autre bout de la planète au moment des fêtes. Cela a donné lieu à des réveillons étonnants, complètement improbables. Avec un confort aléatoire. Ebola, l’îlot Titicoco, la dynamite, la queue de kangourou rôtie… jaillissent dans ses souvenirs, entre deux éclats de rire.
Il nous en raconte quelques-uns ici, avant de préciser que depuis une vingtaine d'années, après avoir vraiment eu peur, il met un point d'honneur à tout faire pour revenir fêter Noël chez nous, à Namur, entre trois églises et deux bibliothèques. Parmi les siens. "Soyons clairs, je n'ai jamais eu de regret de ne pas être là, en famille, pour les fêtes de fin d'année, avoue-t-il. C'était mon métier. Mais depuis 2001, après une expérience au Gabon en pleine crise Ebola, je me suis rendu compte à quel point cela pouvait parfois être traumatisant pour mes proches. C'est là que j'ai dit stop."
Ces réveillons qui l’ont marqué
Le plus drôle
Le premier souvenir avancé par Philippe Lambillon est un Noël passé sur un îlot colombien perdu, propriété d'un Italien qu'il avait rencontré dans un avion. "Il me parle d'un endroit improbable, exotique, à peine habité, se souvient-il, évoquant le Noël de 1978 ou 1979. Je dis OK. Me voilà donc parti pour trois ou quatre heures de mer avant de rejoindre l'endroit, l'île Titicoco. Il y avait plein de requins. Et pas grand-chose à faire. Les gens de l'endroit étaient peu nombreux. C'étaient des pêcheurs. Mais ce qui m'avait le plus frappé à l'époque, c'est qu'il y avait pas mal de mutilés. On se serait cru sur l'île du docteur Moreau (roman de science-fiction de H.G. Wells, NDLR)."
Il s'est aperçu bien vite que les habitants pêchaient souvent à la dynamite. Ils n'avaient plus qu'à cueillir à la surface de l'eau des poissons étourdis par l'explosion. Il y avait parfois des accidents, surtout lorsque l'alcool s'invitait à la partie. "J'ai attrapé un petit requin-marteau comme cela, reprend notre interlocuteur. Il m'a servi de repas de Noël. Ce n'était pas bon. Un goût d'urine et une drôle de texture. Heureusement qu'il y avait de l'aguardiente, l'alcool de canne à sucre, pour faire passer l'histoire. Je me suis retrouvé dans mon hamac, le soir de Noël, à regarder les étoiles."
Philippe Lambillon est resté trois semaines sur cette île. Il n’avait pas d’attache sur le vieux continent. De son propre aveu, c’est sans doute là qu’est né dans sa tête le personnage du bourlingueur.
Le plus spécial
Philippe Lambillon n'a pas un repère daté en tête pour ce réveillon de Noël passé dans le bush australien. Il était parti faire un reportage sur la plus grande mine d'or à ciel ouvert du pays, voire du monde, Super Pit, près de Kalgoorlie, du côté occidental. "J'avais un chauffeur, Geoffrey, un aborigène très sympa, se rappelle-t-il. Il avait des particularités assez étonnantes. C'était un ancien alcoolique qui passait ses journées à boire du coca. Il avait un énorme besoin de sucre. Du coup, il était très gros, vers les 160 kg. Surtout, désolé du détail, mais il pétait beaucoup. Cela m'a marqué. On avait une énorme cargaison de coca, alors que moi je carburais à l'eau et (un peu) à la bière."
Sur le chemin, pas mal de kangourous gisaient, morts ou mal en point, heurtés de plein fouet par les voitures et les camions. " Il faut savoir qu'en Australie, on renverse de 1 000 à 1 500 kangourous par jour. Parfois, Geoffrey s'arrêtait pour aller en achever et ramenait les carcasses dans notre 4x4. C'était épique."
C'est pendant ces tribulations que Noël est arrivé. "J'ai mangé une queue de kangourou rôtie avec de la bière chaude. Ce n'était pas mauvais. Il y avait beaucoup de graisse. Apparemment, tout est bon dans le kangourou. Puis, on s'est installé dans la benne du pick-up. J'ai regardé le ciel. Geoffrey était à côté de moi, bruyant, jevous laisse deviner pourquoi. Je me suis endormi. Il y a eu un orage et il a commencé à bien pleuvoir. Ma nuit de Noël s'est achevée dans la cabine du pick-up."
Le plus frugal
Cette année-là, Philippe Lambillon se trouve sur l'île de Madagascar, du côté de Toliara, "l'endroit où l'on trouve l'avenue des baobabs centenaires, bien plus belle que celle des Champs-Élysées, dit-il, presque nostalgique. Nous étions entre Noël et Nouvel An. L'équipe somnolait dans le véhicule. Tout à coup, alors que nous étions au début de l'après-midi, plus de soleil, plus de lumière."
Très vite, le bourlingueur repère la cause de cette soudaine obscurité: un immense nuage de criquets pèlerins. "Là, j'ai tout de suite réveillé l'équipe. C'était la chance de notre vie. On a sorti le matériel en vitesse et j'ai foncé vers un champ où des millions d'insectes venaient de se poser. J'avais à la main une petite poêle et un réchaud. Je les ai cuisinés pour les besoins de la séquence. Et j'en ai mangé. Cela allait. Notre chauffeur a, de son côté, sorti un immense sac et l'a rempli de bestioles. Il en a ramassé pas loin de 50 kg. Et en a mangé durant tout le séjour par petites poignées. Nous, on en a juste repris au réveillon, pour accompagner nos boîtes de sardines et de corned-beef."
Le plus dramatique
Voici une vingtaine d'années, les Carnets du bourlingueur emmènent Philippe Lambillon en tournage au Gabon. Immersion dans une forêt dense, oppressante. Un tournage où il se retrouve avec deux chimpanzés, "Kiki et Loulou, se souvient-il. Nous n'étions pas très loin du foyer du virus Ebola. Nous étions informés par radio de ce qui se passait et ce n'était pas vraiment encourageant. Nous sommes restés finalement bloqués pendant trois semaines, avec de vieilles conserves et de la viande de brousse comme seule nourriture. Le réveillon de Noël est passé comme ça. Un des deux singes est mort, alors qu'il avait souvent pissé sur moi. Nous n'étions pas du tout rassurés par rapport à la maladie."
Mais le pire est à venir. L'avion qui devait ramener l'équipe pour le Nouvel An en Belgique, via Zurich, heurte une volée d'oiseaux. "Il s'est posé d'urgence à l'aéroport de Douala, au Cameroun. Nous avons dû rester 24 heures sans sortir de l'avion, sur le tarmac. Nous étions quasi 200 dans cet avion. Nous sommes finalement repartis. Mais ma femme n'avait pas été prévenue de ce retard d'une journée. La communication était bien moins facile qu'aujourd'hui. J'ai encore l'image d'elle et de mes deux enfants en pleurs quand je suis rentré chez moi. Et du sapin et de ses lumières."