Qu’est-ce que l’hypersensibilité?
Terme à la mode, l’hypersensibilité n’est pas un diagnostic réel en psychologie. Explications de Pierre Philippot, de l’UCLouvain.
Publié le 09-10-2021 à 07h00
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Une conférence, un bouquin, un test dans un magazine féminin… L’hypersensibilité est le terme à la mode pour le moment.
1. Pas un diagnostic L'hypersensibilité n'est pas un vrai diagnostic psychologique, mais cela désigne une forme de symptômes qui est présente dans différents diagnostics. « Il y a des termes qui s'en rapprochent, qui font partie des symptômes. La labilité émotionnelle, par exemple, n'est pas la même chose que l'hypersensibilité, ça désigne le fait de passer très rapidement d'une émotion à une autre. Et il y a une série de diagnostics qui ont dans leurs symptômes une réponse émotionnelle extrême.»
2.Le tempérament «Il y a des différences de sensibilité innées: certaines personnes, par le tempérament, sont beaucoup plus sensibles aux punitions, aux situations négatives, et réagissent plus importantes que les autres dans ces circonstances. Alors que d'autres ont besoin de stimulations, sont à la recherche de sensation. On pourrait les appeler hyposensibles.»
Ce tempérament, inné, est très stable. «Les études ont montré qu'on a des prédictions parfois sur 15, 20 ans, qui sont correctes.»
3. Les apprentissages émotionnels «Il arrive qu'on associe certaines choses à des conséquences extrêmement négatives, dit Pierre Philippot. L'exemple type, c'est la phobie, qui est une hypersensibilité émotionnelle apprise, soit de manière directe, soit de manière vicariante, c'est-à-dire en observant les réactions de l'adulte.»
4. Transfert d'activation émotionnelle «Une situation difficile psychologiquement, par exemple l'anxiété ou la dépression peut s'exprimer par une réactivité émotionnelle plus importante. Par exemple, l'anxiété fait que toute stimulation entraîne une sur réaction: on rentre du boulot stressé par la journée de travail, le trafic sur la route, la moindre remarque de votre enfant va vous faire exploser. C'est un transfert d'activation émotionnelle. »
«On a tendance à décoder les choses en fonction de l'état d'humeur dans lequel on se trouve. Donc, par exemple, si on est déprimé, on interprète de façon plus négative les choses. Et si on est anxieux, on interprète comme menace une chose apparemment bénigne, en surréagissant.»
L’hypersensibilité peut être donc un symptôme d’un problème de nature anxieuse ou dépressive.
Apprendre à dompter ses émotions, dès l’enfance
La sensibilité des enfants est différente de celle des adultes. «Les enfants réagissent de façon plus extrême aux déclencheurs émotionnels. Ils peuvent aussi passer à autre chose très rapidement. Les jeunes enfants ont des capacités d'inhibition bien moindre que des adultes. On observe ça aussi à l'adolescence, à cause du processus de réorganisation cérébrale, qui peuvent mettre à mal la fonction inhibitrice. Et on voit les montagnes russes émotionnelles que ça peut générer.»
Ce que le parent peut faire pour aider son enfant, c'est normaliser l'émotion « arriver à parler avec lui de ce qu'il fait, décoder ce que ces émotions traduisent Y a-t-il une menace ou est-ce une fausse alarme? Reconnaître les émotions est important. La tentation est souvent grande de demander à l'enfant d'inhiber les émotions trop envahissantes... Ça ne marche pas vraiment.»
Le parent peut aussi apprendre les moyens socialement acceptables d'exprimer son émotion. «Cet apprentissage implique une forme de créativité qu'on va devoir faire durer toute sa vie: faire une place à l'émotion, l'exprimer de façon acceptable, ce n'est jamais acquis. »
Le psychologue insiste: « Le danger, c'est quand des phénomènes de résonances s'installent: mon enfant est en colère, je suis irrité, frustré, je réponds de la même manière, ça l'insécurise encore plus… C'est l'escalade. L'adulte doit aussi se défusionner de cycles d'auto-alimentation potentiels. C'est une éducation par l'exemple.»