Le chamanisme se développe: quand la population cherche un retour à la terre
Suspect, intrigant ou fascinant, le chamanisme suscite autant la méfiance qu’un certain engouement. Quels sont les principes qui sous-tendent cette tradition sibérienne?
Publié le 22-03-2020 à 07h00
Dans une société occidentale en perte de repères et en quête de sens, certains souhaitent renouer avec le sacré, mais sous une forme nouvelle. C’est dans ce cadre que le chamanisme, une des traditions spirituelles les plus anciennes de l’humanité, refait surface.
Pour Marianne Grasselli Meier, écothérapeute et auteure du livre Devenir chaman, même pas peur!, cet engouement révèle un besoin spirituel essentiel. Sa thèse est la suivante: nous souffrons d'un manque de lien à la Terre et à la nature.
Un état de conscience modifié
«Le chamanisme est la thérapie dont les gens ont besoin pour être à nouveau reliés à elles. Je parle parfois de "spiritualité de l'évidence", c'est-à-dire que les choses sont comme elles sont. On essaie toujours de vouloir tout changer, mais cette pratique nous apprend à être en connexion avec le monde», explique Marianne.
Au fil du temps, l'être humain s'est mis à distance de son environnement et du vivant autour de lui. Saccageant terre, mer et ciel, il est allé vers le «progrès» jusqu'à en devenir malade. «Le chaman est ce régulateur spirituel entre l'humain et la nature. Il nous invite à reprendre contact avec cet inconnu de nous-mêmes et pourtant universellement identifiable. Je n'aime pas me définir comme une chamane car ce mot appartient à une autre culture. Je préfère les termes "guérisseuse" ou "thérapeute", car je ne veux pas m'approprier quelque chose qui n'est pas de ma lignée. Toutefois, je suis pleine de gratitude envers leurs outils qui nous sont arrivés par les liens sociaux.»
Au travers de transes ou de psychotropes, le chaman se place dans un état modifié de conscience et parvient à déconnecter le cerveau rationnel qui pense. «Il s'agit soit d'une personne ayant reçu un don, soit de gens ayant subi un événement traumatique. Personnellement, j'ai eu, dans mes jeunes années, un accident de voiture qui m'a fait vivre une expérience de mort imminente. Cela m'a donné des informations sur l'après-vie. Il y a une sorte d'ouverture au monde qui est différente», souligne Marianne.
Conserver son esprit critique
«J’ai rencontré des gens qui avaient peur d’être manipulés et de perdre le contrôle. Si je vous dis quelque chose sur vous-même que vous ne voyez pas, c’est puissant. Comme le chaman a souvent un fort pouvoir de persuasion, il peut y avoir des dérives et des risques de domination. Il est donc important de faire un travail sur soi, de ne pas se soumettre à l’autre et de conserver son esprit critique. Il faut écouter ce que l’autre a à nous apprendre, mais pas le suivre aveuglément.»

En chamanisme, de nombreuses cérémonies ont lieu et sont dirigées par les guérisseurs. Ces rites peuvent être individuels ou collectifs.
«La hutte de sudation, c'est devenu notre grand sauna sacralisé», sourit Marianne. Il s'agit d'un rituel de purification venant d'Amérique du Nord. Comme un nid, la hutte est constituée de branchages. À l'intérieur, la terre est à nu. «Au niveau symbolique, on reconstitue une matrice, celle de la Terre mère. Au niveau psychologique, on recherche une régression. On va se dénuder, du moins en partie. Car on tente de rentrer dans la matrice de la Terre, comme si on essayait de rentrer à nouveau dans l'utérus de notre propre mère.» Un trou est creusé dans le sol vierge et les participants se réunissent autour.
Faire rejaillir des émotions
Des pierres qui auront été chauffées à blanc pendant de longues heures sont jetées dedans. Ainsi disposées, elles vont chauffer la hutte qui sera plongée dans l'obscurité totale. «On va verser de l'eau et des herbes sur les pierres. On est donc entourés de vapeur, d'odeurs, des sons des chants et des tambours qui jouent.» Quatre moments rythment la cérémonie, au cours desquels les portes vont s'ouvrir et de nouvelles pierres vont arriver, augmentant encore la chaleur du lieu. «Il y a un côté hypnotique car il n'y a plus rien à voir, mais tout à sentir. Cela fait resurgir des émotions enfouies.»