INTERVIEW | Cauet: Je n’ai jamais été dans le «c’était mieux avant»
Cauet se livre comme jamais dans une biographie sincère, en hommage à son père. Rencontre.
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- Publié le 30-04-2019 à 08h20
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«T’es habillé comme tout le monde mais tu ressembles à personne», lui disait son père. Sébastien Cauet se confie dans une biographie sincère qui mêle vie très intime et vie des médias en France. Le «petit gars de Picardie» comme il l’aime se qualifier lui-même est devenu un des animateurs les plus populaires. Il est passé par toutes les chaînes de radio et de télé ou presque depuis l’âge de 13 ans où il diffusait ses premiers jingles dans des radios locales.
En lisant votre livre, on se dit que vous êtes guidé par la peur de vous ennuyer. C’est vrai?
Il y a un peu de ça oui, la peur de ne pas innover, la peur de s’ennuyer. Oui j’aime toujours bien avoir un ou deux projets d’avance. Ce n’est pas pour ça que je les fais tous, mais j’aime bien avoir des trucs d’avance.
Parce que c’est rassurant de savoir où on va?
Non, c’est rassurant bizarrement de ne pas savoir toujours savoir où on va, mais de se dire qu’on peut faire quelque qu’on n’a jamais fait avant. Ça permet de se remettre en question. J’aime bien l’idée de me dire que j’ai tenté un nouveau truc. Peut-être que ça ne marchera pas. Et alors? c’est pas très grave ou alors ça mettra du temps à marcher. Le plus important c’est d’essayer.
C’est plus facile maintenant après autant d’années?
C’est plus facile avant, quand vous n’êtes pas connu d’oser faire des choses. Parce que quand vous êtes connu, on vous attend un peu comme un sniper. On dit ah il va essayer, on va jeter un œil. Alors qu’au début, on ne vous regarde pas. Quand vous êtes un peu connu, si ça ne marche pas tout de suite on se fait un malin plaisir de faire «ah ah ah il a essayé mais ça n’a pas marché».
Pour «La Méthode Cauet» (TF1, 7 saisons à partir de 2003, 35% de parts de marché) vous expliquez que vous vous mettiez une telle pression que ça vous rendait malade de stress par rapport aux résultats d’audience. Qu’est-ce qui vous a poussé à continuer?
C’est stressant mais en même temps (il hésite), on fait des trucs en espérant que ça marche. Sans audience, la vie est triste. On marche aussi quand même à ça, pour s’entendre dire que ça cartonne. C’est comme un sprinter si vous ne lui dites jamais combien il fait au 100 m, pourquoi il irait courir? On n’a besoin de savoir ça, si on a été meilleur que l’autre. Si on n’a pas été bon, ça met une espèce de niaque pour dire «Tu vas voir la prochaine fois, je vais vous montrer ce que je vais faire!» C’est une espèce d’essence pour notre moteur.
Est-ce qu’il y a une forme de nostalgie de la télé et de la radio d’avant?
Je n’ai jamais été dans le «c’était mieux avant». C’était différent, mais c’était pas forcément mieux. Aujourd’hui on peut faire des choses avec une vraie puissance: j’ai 10 millions de gens sur mes réseaux sociaux, où vous pouvez passer le message que vous voulez. Cette puissance-là elle n’existait pas avant. À l’inverse, vous avez le côté obscur de cette puissance. Aujourd’hui vous avez des gens qui, du fond de leur appartement ont presque plus de pouvoir que vous. Le seul petit truc peut-être, c’est qu’à l’époque à «La Méthode» ou à la radio, on regardait un divertissement simplement pour regarder un divertissement sans se poser plus de questions, là où aujourd’hui on va y voir sexisme, misogynie, homophobie… c’est des mots qu’on entend tous les deux jours. On a l’impression qu’il n’y a pas un humoriste qui n’a pas fait une blague sexiste ou homophobe, une apologie de ceci ou de cela. On a l’impression qu’il faut dire des choses tous les jours sur des gens. Alors que des fois une blague est simplement une blague.
Vous citez quelques exemples dans le livre de trucs qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui.
Non, on ne pourrait plus le faire. Jean-Marie Bigard en a été l’exemple ces derniers temps. Il fait une blague sur le plateau de Cyril Hanouna. Trois ans après, même plateau, même animateur, même blague, on dit qu’il fait l’apologie du viol… Ce qui est embêtant c’est qu’il n’y a pas de contrepoids. Il devrait y avoir d’autres gens sur les réseaux qui disent «non c’est juste une blague». Après on peut la trouver de bon goût, de mauvais goût, drôle, pas drôle mais pas forcément y voir des choses dramatiques à chaque fois.
On a l’impression que c’était plus facile de faire de la radio à l’époque, quand vous avez commencé…
C’était pas plus facile du tout. On devait débroussailler les chemins. Le seul truc, c’est qu’aujourd’hui, quand une radio met une émission en place, il faut qu’elle marche tout de suite, on n’essaie plus… Il y a un peu cette exigence immédiate qu’il y avait peut-être un petit peu moins à l’époque. Même si c’était pas des enfants de chœur non plus, il fallait que ça marche.
Un côté plus humain alors?
Ça serait une bêtise de croire que les médias ont été humains, il faut que ça marche. Mais le feeling et l’amusement avaient une place plus importante peut – être qu’aujourd’hui où l’efficacité est n°1. Faut qu’il y ait des résultats. Mais encore une fois, je vous le dis, c’est un challenge palpitant, on fait aussi ce métier pour ça. On a envie que ça marche, on a envie que les gens soient là. Si on me disait «personne ne regarde, mais amuse-toi», ça serait impossible, j’ai besoin de cette motivation-là, de savoir que chaque jour il y a de plus en plus de gens qui viennent vous regarder ou vous écouter.
Vous avez travaillé pour tellement de gens…
C’est parce qu’à un moment donné quand j’ai l’impression d’avoir fait le tour, j’ai fait le tour. Quand je m’ennuie, quand je n’innove plus quand ce que je fais devient une espèce de ronron. Là je ne me sens plus très bien et quand je ne me sens plus très bien, j’ai envie que ça bouge.
On a l’impression que c’est simple, que ça coule tout seul
(Il rit) Non ce n’est pas facile! C’est aussi des moments d’angoisse… Ça dépend ce que vous appelez cool… Si vous regardez les 25 ans vous vous dites «wah, quelle aisance, c’est génial, ça rebondit». Ça coule moins au jour le jour. C’est souvent une succession d’angoisses, de questionnements, de c’est bien, c’est pas bien, on continue, on ne continue pas, je suis nul, je suis bon… Beaucoup d’interrogations, d’angoisses, de soirées entières à me demander ce que ça va donner, si les gens vont aimer, etc. mais c’est vrai que quand vous lissez les résultats mis bout à bout et les angoisses bout à bout, vous vous dites, oui, ça va…
Parce qu’on en garde que les meilleurs moments…
Même moi si vous saviez le nombre de fois où je me suis angoissé pour des résultats, à ne pas dormir. À voir des résultats moins bons où je me disais ça y est, c’est fini. Et puis ils remontent la fois d’après. Quand vous les lissez tous, vous vous dites ah mais non quel succès (rire). Parce que notre métier c’est un marathon, c’est un truc sur la longueur. Une course, elle n’est jamais gagnée ou jamais perdue tant que le vainqueur n’a pas passé la tête. Par conséquent, c’est une course qui ne finit jamais. Vous êtes toujours en compet’tant que vous êtes là, vous avez envie, vous êtes toujours dans la course.
Les supports évoluent mais l’envie est toujours là…
Je pense que le jour où j’aurais un dégoût du métier, je ferai une vraie grande pause. Ce n’est toujours pas arrivé parce que chaque fois que j’ai eu un petit ras-le-bol, on m’a proposé un truc où je me disais «ah, ça, c’est marrant, j’ai jamais fait». Donc il y a toujours eu un truc qui est venu raviver mes envies.
Ça doit être fatigant votre vie, vous n’arrêtez jamais?
(rire) J’ai des copains qui me disent ça «mais t’en as pas marre?». En fait non, bizarrement je n’en ai pas marre, ça m’amuse toujours autant. Je m’étonne moi-même des fois de ne pas en avoir marre. Il y a toujours des choses à faire. Quand on trouve une nouvelle séquence en radio, je me dis mais pourquoi je n’y ai pas pensé avant… C’est génial de pouvoir innover.
Vous dites que vous ne ferez plus ça trente ans…
Ah non et puis je trouve ça bien un moment de basculer un peu en off, de se mettre là que pour le côté plaisir, de faire une émission de temps en temps. Avec les années j’ai un peu plus envie de passer en off, de devenir un sage, avec une longue barbe comme dans Karaté Kid. Je me laisserais pousser une longue barbe et je la caresserais comme ça.
Quand on fait rire les gens c’est compliqué d’être pris au sérieux…
Mais dans la vie de tous les jours! Quand des fois vous allez gueuler parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas, vous allez dans une administration, une banque… vous arrivez tout colère et que vous avez quelqu’un devant vous qui dit «attendez je vais appeler les collègues en disant et t’as vu qui est là?» Des fois c’est dur d’être pris au sérieux.
Il y a des gens que vous n’aimez pas trop…
C’est anecdotique dans le livre. C’était important d’en parler parce que quand vous rencontrez des gens, qu’il y a des moments de déception ou d’euphorie il faut les écrire… Mais bon, j’imagine que vous allez me parler d’Arthur. Mais voilà c’est anecdotique, j’avais 19 ans, c’est un moment où on a envie, on découvre la radio nationale, on pousse la porte et on se dit «ah, c’est pas ce que j’imaginais». On se dit «ah moi je ferais différemment», on apprend, on regarde.
Ça vous a apporté quoi d’écrire ce livre?
Une espèce de zénitude. D’abord j’avais peur. Je me suis dit est-ce que les souvenirs vont revenir, est-ce que ça va être intéressant? Quand je lis tous les messages des gens qui disent merci, j’ai dévoré le livre. Je ne pensais pas qu’ils l’accueilleraient aussi bien. J’imaginais pas ça.
Mais en tant qu’expérience, c’est très personnel?
Oui c’est très personnel et en même temps c’est un exercice que j’avais déjà un peu commencé dans le premier spectacle. Quand j’ai fait de la scène, je me suis dit que j’étais obligé de livrer quand même un peu de moi. Donc j’avais commencé à livrer des bouts de moi, comme la mort de mes parents, notamment. Même si c’était pas facile sur scène au début. Mais dans un livre, vous parlez de trucs personnels sans avoir l’obligation d’être drôle, c’est très différent. Des fois les gens disent «ah c’est une bonne thérapie». Non, ce n’est pas une thérapie, mais ça fait du bien de se replonger là-dedans et de se dire que ces années vécues dans un petit village de Picardie étaient plutôt sympathiques, avec des gens plutôt adorables autour de moi. Que j’ai vécu une vie parfois faite d’épisodes tristes mais faite d’épisodes gais aussi. Vous vous replongez là-dedans et vous vous dites que finalement, malgré toutes ces horreurs, j’ai vécu une jeunesse plutôt pas si mal que ça, dans de l’amour et que j’ai réalisé beaucoup plus de rêves que ce que j’imaginais jusque-là. Quand j’étais gamin, j’avais des rêves, mais un centième de ce que j’ai pu vivre après. Moi je m’imaginais être dans une radio, des fois mixer devant 100 personnes. Je ne m’imaginais pas mixer devant 30 000 comme ça a déjà été le cas. C’est ça les rêves. On rêve un petit peu, j’ai vécu plus.
Ce livre, c’est aussi un bel hommage à votre père. Dans votre caractère, qu’est-ce que vous lui devez?
(Il réfléchit) Mon père était quelqu’un de très posé, de très terre à terre, les pieds au sol. J’ai un peu ce côté-là. Même si j’ai réussi, j’ai la chance quand je m’achète une belle voiture, que je suis dans un bel endroit à l’autre bout du monde, j’aime bien me mettre les pieds bien au sol et me dire quelle chance j’ai d’être là dans un endroit magique. Il faut avoir comme ça des petits moments de remerciement. Ne pas se dire c’est normal, c’est comme ça, c’est grâce à mon talent je suis un génie tout ce que je fais ça marche. Il faut savoir remercier et profiter des belles choses.
Ça vient entièrement de vos parents?
Avec l’âge aussi on devient plus zen plus posé. Je pense qu’on va se poser sur un coin de plage au Touquet, il fait beau, on est avec un café et on est bien, on respire on est juste bien, il n’y a pas besoin d’arroser des nanas ukrainiennes à St-Tropez. Mais chacun fait ce qu’il veut, chacun son plaisir c’est important avec les années de se poser et de prendre conscience que quand même quand on a des bons moments dans la vie…
Sébastien Cauet, «T’es habillé comme tout le monde mais tu ressembles à personne», Robert Laffont, 385p.