Jacques Villeneuve: "La F1 est redevenue populaire surtout grâce au Covid"
Jacques Villeneuve n’est pas prêt pour la retraite : “J’ai toujours faim. Je veux encore gagner Le Mans.”
Publié le 29-04-2023 à 10h50
Quatorze après une fin brutale lors des 24H de Spa 2009 sur une Mosler engagée en GT nationale, nous avons retrouvé Jacques Villeneuve à Francorchamps. Aujourd’hui âgé de 52 ans, le champion du monde de F1 1997 participe ce samedi aux 6H de Spa aux commandes d’un prototype Vanwall Hypercar. La boule désormais complètement à zéro, le Canadien nous a accordé une interview exclusive. Toujours un plaisir…
Jacques, vous aimez toujours autant Francorchamps même si cela n’a jamais été vraiment réciproque ?
”Oui c’est un tracé viril, naturel, où vous avez l’impression d’aller quelque part. Il y a aussi toujours une certaine prise de risques même si c’est moins qu’avant. C’est grisant pour un pilote. Je n’ai jamais gagné ici, mais j’ai toujours battu mes équipiers. J’ai terminé deuxième en 1996 derrière Schumacher. Mais j’ai signé deux poles positions en 1996 et 1997. Avant deux gros crashes au Raidillon qu’il n’était pas toujours facile de passer à fond. C’était le défi. J’ai essayé. Et j’en garde d’excellents souvenirs.”
Et avec votre Vanwall Hypercar cela passe à fond ?
”Non. Je n’ai pas envie d’essayer. On est dixième à quatre secondes. À quoi bon aller prendre le risque de casser l’unique exemplaire existant de ce proto pour aller gagner deux ou trois dixièmes ? On manque d’essais, on ne roule pas assez. Ce n’est pas une question d’âge mais de roulage si je suis derrière mes équipiers. J’ai été victime de problèmes techniques lors des deux premières courses et je manque de rythme. Cela va aller mieux car entre Spa et Le Mans on va pouvoir tester durant trois jours à Monza.”
Ce n'est pas une question d'âge mais de roulage si je suis derrière.
Pourquoi avoir relevé ce défi avec une petite équipe comme Vanwall ?
”Car j’avais envie de rouler. J’ai toujours été attiré par ce championnat, mais les cinq dernières années, il n’y avait que deux Toyota et très peu de possibilités. Là j’ai vu une opportunité. J’ai contacté le team et le deal s’est fait en 24 heures. Je ne voulais plus rouler à la pige comme en Nascar mais disputer tout un championnat.”

Ce n’est donc pas que vous allez arrêter après Le Mans ?
”Pas du tout ! C’est un championnat d’endurance et je suis là pour durer. Je veux encore gagner Le Mans et remporter la triple couronne (Le Mans, Monaco et Indianapolis). Mais ce sera compliqué cette année… “
Les 24H auxquelles vous avez participé deux fois avec Peugeot avec une belle deuxième place en 2008.
”Oui, mais le Mans vous voulez les gagner pas finir deuxième. On a mené la course puis on a eu un souci avec la 908. On avait tout pour gagner et on a réussi à la perdre cette course. On s’est retrouvé deuxième, mais on reprenait trois secondes au tour sur l’Audi de tête. Néanmoins on nous a demandé d’assurer la deuxième place ce qui était absurde car l’autre Peugeot était troisième. Moi je voulais continuer à attaquer et j’ai eu du mal à accepter. Je me souviens des relais de nuit, c’était magique. J’ai hâte de revivre cela.”
Quel regard portez-vous sur le WEC, le championnat du monde d’endurance ?
”Top championnat. Pour les deux gros teams, Toyota et Ferrari, c’est comme la F1 à l’époque où les essais étaient encore autorisés. Ils sont tout le temps en tests. C’est génial. Les essais privés manquent à la F1.”
On remarque que vous êtes toujours très populaire. Cela fait plaisir ?
”Clairement. Un sportif de haut niveau, ce n’est pas comme un chanteur ou un acteur. Vous faites vite partie de l’histoire. J’ai la chance de pouvoir continuer à rouler et à être apprécié des fans.”
Peut-être aussi un peu grâce à votre rôle de consultant F1 sur Canal Plus et votre franc-parler ? Vous aimez ce nouveau métier ?
”Je préférerais être dans la voiture. J’ai l’opportunité de m’exprimer sur une télévision où l’on a encore le droit de dire ce que l’on pense. Sans vouloir cracher dans la soupe et en argumentant bien sûr. Quand vous êtes dans votre canapé à regarder les GP, vous pensez que c’est un métier facile de commenter la course, mais je peux vous dire que ce n’est pas le cas. J’ai beaucoup de respect pour les journalistes sportifs.”
La F1 est le plus grand sport au monde. La Coupe du monde de foot c'est tous les quatre ans. Les GP c'est tous les quinze jours.
La F1 est redevenue très populaire aujourd’hui. L’effet Netflix ?
”Netflix a bien dopé les audiences surtout aux États-Unis. Je dirais plutôt que le Covid a eu un effet bénéfique. Tout le monde était coincé à la maison et s’est mis à regarder les GP à huis clos. Et puis il faut dire que c’est tout de même le plus gros sport au monde. La Coupe du monde de football c’est tous les quatre ans. La F1 c’est tous les quinze jours. Je suis impressionné de voir les gradins combles partout en Europe malgré des prix exorbitants. Les anciennes générations sont revenues en famille. On voit les grands-parents avec les enfants et les petits enfants qui peuvent rater l’école le vendredi pour aller voir la F1 une fois par an. Et du coup, ils adorent cela. Par contre, si à mon époque et avant les fans venaient surtout par goût du risque, aujourd’hui je pense que les jeunes apprécient surtout le côté stars grâce auquel certains pilotes gardent leur baquet malgré des résultats médiocres depuis des années. Dans les années 80-90, si tu étais à plus de trois dixièmes de ton équipier, tu sautais après six GP.”
Que pensez-vous de la longévité de Fernando Alonso, toujours sur les podiums à 42 ans ?
”C’est bien la preuve que l’âge n’a pas d’importance. Il a toujours faim. Il prend toujours des risques. On ne va pas dire qu’il fait encore des sacrifices car je ne trouve pas cela un grand sacrifice de prendre des millions pour tourner en rond. Mais il est toujours passionné par ce qu’il fait. Tout le contraire d’un Nico Rosberg qui a arrêté très jeune et à qui la F1 ne semble pas manquer. Le break de Fernando, le manque, l’ont aidé à apprécier encore davantage la chance qu’il a. Il s’est toujours donné à 100 %. Et même s’il a perdu un dixième au tour en dix ans, c’est compensé par son expérience. Il se sent aimé dans son team ce qui est très important pour un pilote. Et puis on le voit encore faire des dépassements à l’ancienne, pas comme les jeunes qui attendent le DRS pour dépasser en ligne droite comme sur l’autoroute.”
Ce n'est pas un grand sacrifice de prendre des millions pour tourner en rond.
Le championnat du monde de F1 2023 est-il déjà joué ?
”Non, il peut se passer plein de choses. Mais il est vrai que Verstappen est en état de grâce. Il est en osmose avec son team et sa voiture et donc il rafle tout. Charles Leclerc est capable de le battre occasionnellement comme encore ce samedi en qualifs, mais il a trop souvent des misères.”
Vous voyez donc tout de même Max sacré les dix prochaines saisons ?
”Pas nécessairement car il va peut-être se fatiguer très vite et passer à autre chose. Il a commencé tellement jeune qu’il est déjà vieux pour la F1. Il tient un rythme très élevé très soutenu. Il ne lâche rien. Vous ne le voyez pas une course en deçà. Lors de chaque saison, Lewis Hamilton a eu une mauvaise passe, un moment où il relâchait un peu son effort et ses rivaux en profitaient. Max n’est pas comme cela. C’est une machine de guerre. Mais cela ne durera peut-être pas éternellement.”