Pénurie de personnel soignants: comment les hôpitaux font face au sous-effectif
Ça coince dans les hôpitaux, surtout au niveau des infirmiers. Les situations sont différentes d’un endroit à l’autre: état des lieux.
Publié le 19-11-2021 à 07h00
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Alors que la quatrième vague se soulève, la pénurie de personnel hospitalier fait grincer des dents. Nous avons voulu essayer de la quantifier, en contactant de nombreux hôpitaux de Wallonie et de Bruxelles.

1.Dessituations très différentes d’un endroit à l’autre
Parfois, la situation n'est pas catastrophique. C'est le cas du CHM Mouscron, qui peut se féliciter d'avoir retrouvé une stabilité dans ses effectifs, malgré des recrutements compliqués. Ou à Chwapi (Tournai), où l'hôpital ne souffre pas de déficit chronique. Mais ailleurs, la situation est plus compliquée. À Liège, le CHC MontLégia fait face à un absentéisme, "lié à l'épuisement du personnel, qui provoque de nombreux cas de maladie ou de burn-out, dit Isabelle Thys, directrice du département infirmier. Tous les jours, nous devons trouver des solutions pour remplacer le personnel absent." Le CHR de Liège affiche une cinquantaine de postes manquants, et il manque 40 ETP à l'ISPCC de Charleroi, dont une quinzaine aux soins intensifs. Philippe Vroonen, directeur médical à Malmedy remarque qu'en plus des départs habituels, beaucoup d'infirmières deviennent indépendantes "pour la rémunération, les horaires qu'elles font à la carte, mais aussi pour échapper à l'agressivité ambiante des patients à l'hôpital. À domicile, elles ont souvent une relation très différente avec les personnes qu'elles soignent."
2.Surtoutles infirmiers spécialisés
Les infirmiers manquent partout, et les infirmiers spécialisés sont les plus difficiles à recruter. En soins intensifs, comme à Charleroi, mais pas seulement: on manque d’infirmiers spécialisés en pédiatrie au MontLégia, même chose à Vivalia, en province du Luxembourg, où l’on ajoute à la liste les infirmiers en oncologie, gériatrie, bloc opératoire. À Tournai, Chwapi avoue souffrir en plus d’un manque de personnel dans les métiers paramédicaux (psychologues, assistants sociaux, logopèdes) et la clinique de Saint Vith peine à recruter infirmiers, personnel administratif et médico-technique. L’ISPPC manque aussi de médecins spécialisés, psychiatres et gériatre, et de technologues en imagerie médicale – tout comme les hôpitaux de Vivalia. Pas moyen de pourvoir non plus certains postes à l’IT ou d’ingénieur, au CHR de Liège
3.Pours’en sortir, les moyens du bord
Avant d'évoquer les systèmes D trouvés à droite et à gauche, le moyen structurel qui revient dans la plupart des bouches, c'est le fonds blouses blanches. Ces 402 millions d'euros alloués pour les hôpitaux, infirmières indépendantes et maisons médicales ont créé de l'emploi. Mais cela reste insuffisant. "C'est une sorte de Tetris, surtout en soins intensifs, explique Antoine Gruselin, au service communication du CHR de Liège. Quand il y a un patient qui est hospitalisé avec Ecmo – une machine de dérivation cardiopulmonaire – on a besoin de six infirmiers par pause pour surveiller. D'un jour à l'autre, on doit voir à quoi les infirmiers spécialisés vont devoir se consacrer. Aujourd'hui, on a dû fermer deux lits en soins intensifs pour avoir le staff nécessaire, l'autre jour, c'était six. " Le bénévolat a dépanné pendant les deux premières vagues dans cet établissement liégeois. À Charleroi, l'ISPPC demande parfois le report des congés et des heures supplémentaires. Le constat de Saint-Pierre Ottignies est aussi morose: "On a procédé à des engagements grâce au fonds blouses blanches. Mais on a du mal à trouver des infirmiers, donc on a assigné certaines tâches à des aides soignants – NDLR, infirmiers brevetés, autrefois appelés infirmiers A2. Le niveau des compétences donc diminué globalement." D'autres hôpitaux, comme l'UZ Brussel et MontLégia – fonctionnement avec une équipe mobile, quitte à fermer des lits quand ce n'est plus possible. Le passage des études d'infirmier à quatre ans en 2019-2020 a créé un trou dans le nombre de jeunes diplômés "sortant sur le marché". Cwapi y réagit par la "séduction": communication des offres d'emploi sur les réseaux sociaux, renforcement des contacts avec les écoles et les stagiaires, relooking de la page internet, contacts avec l'Umons… Le CHU Liège, terre à terre, passe par l'intérim et des recrutements au Portugal.
4.Vaccinationsdu personnel
Le taux est de 84% au MontLégia, 82% Chwapi, 85% à la Citadelle, 86% à Ottignies… C’est l’UZ Brussels qui fait le mieux avec 98%, devant Mouscrons. Mais ces 15 à 20% manquants présagent de nouvelles des tensions, et voire de nouveaux départs et pénuries, avec l’arrivée de la vaccination obligatoire.
Manque de personnel, question de sous?
"Mieux vaut tard que jamais" diront les grincheux, des moyens sont mis dans la balance pour rendre le secteur plus attractif.
Le fonds blouses blanches
"On a procédé à des engagements grâce au fonds blouses blanches" ont dit l'hôpital Saint-Pierre d'Ottignies et le MontLégia… entre autres. Le fonds blouses blanches, c'est 402 millions d'euros, dont 318 millions sont dédiés à l'emploi. L'enveloppe 2020 était restreinte aux hôpitaux et soins à domicile, puis une modification de la loi en 2021a élargi le cercle des bénéficiaires aux maisons médicales.
L'argent n'est pas arrivé il y a si longtemps que ça. " La loi date de décembre 2019. Elle octroyait un budget de 67 millions. Puis l'annonce des 402 millions en base annuelle a été faite, mais texte définitif a mis du temps à être finalisé, pour être finalement publié au mois d'août. Les hôpitaux savaient qu'ils allaient recevoir un budget, mais ne l'avaient pas encore. Le ministre les a informé qu'ils recevraient le budget du fonds blouse blanche pour l'année 2020 à partir du 1er janvier 2021." explique Carole Chaumont responsable de la cellule Service Financement des hôpitaux.
"Il est prévu que le fonds pour 2021 soit utilisé en priorité pour permettre le financement d'un équivalent temps plein supplémentaire par unité de soins, ce qui a déjà été réalisé dans plusieurs institutions", précise France Dammel, porte-parole du ministre Vandenbroucke.
La façon d’accorder ces moyens supplémentaires à l’hôpital se fait en concertation sociale, au sein des organes de représentations des travailleurs.
L’IFIC
L'IFIC (qui doit son nom à l'Institut de Classification de fonctions) est une réforme qui a fait parler d'elle en juin dernier, à cause de grèves qui ont eu lieu dans les hôpitaux.
Le principe de la réforme de l'IFIC est de rémunérer les travailleurs pour leur fonction plutôt que sur base de leur diplôme. On estime que passer par ce système permet en moyenne une augmentation de 6% du salaire. "Ce n'est pas le cas pour certains cas individuels, qui ont des postes à responsabilité ou des diplômes supplémentaires. Mais personnes n'est obligé d'adhérer à l'IFIC: on peut rester sous l'ancien système sans problème" dit-on au SPF Santé. Le but de la mesure est de rendre le début de carrière plus attractif.
L’attractivité
Le problème de la profession de soignants n’est pas juste une question d’argent… Ce ne sont pas la une prime exceptionnelle Covid pour le personnel soignant de 985€ brut par personne, ni le chèque consommation de 300€ au personnel soignant fédéral qui vont motiver les personnes à rejoindre la profession. Il y a eu un accord social 2021-2022 pour améliorer les conditions de travail (budget de 600 millions sur deux ans). Et il y a au SPF santé un groupe de travail sur l’attractivité.