Attentats de paris: « Les gens ne viennent pas pour qu’on pleure sur leur sort »
Frédéric Bibal est l’avocat de plusieurs dizaines de victimes. Après cinq semaines de procès, il analyse les moments forts de ce procès inédit.
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Publié le 09-10-2021 à 06h00
La parole aux avocats… Depuis que le procès des attentats de Paris s’est engouffré dans un long tunnel d’émotions et de témoignages des parties civiles, la parole des avocats est quelque peu mise en sourdine. Sur plus de 1 800 parties civiles constituées, environ 400 ont souhaité être entendues à ce procès. Pour les avocats, tant de la défense que du côté des victimes, le «match» n’a pas encore véritablement débuté.
Frédéric Bibal, avocat spécialisé dans les dommages corporels, représente plusieurs dizaines de victimes au cours de ce procès. Dans son bureau proche de la Bastille, il nous reçoit après cinq semaines de procès. «La fonction judiciaire, ce n'est pas la compassion, analyse-t-il alors que les auditions des victimes sont prévues jusqu'au 29 octobre. Les gens ne viennent pas pour qu'on pleure sur leur sort. La compassion, ils l'ont trouvée depuis longtemps auprès de leurs proches.»
Comment ce procès hors normes parvient-il à rentrer dans la norme?
J’ai toujours l’impression qu’on est à la limite. Toutes les institutions sollicitées sont en tension, la police, la cour d’assises, les avocats… Cet événement nous met en demeure de revoir toutes nos pratiques.
Les avocats des parties civiles ont collaboré en faveur d’un bon déroulement du procès?
Les victimes font passer des messages forts et ils placent la barre très haut. Il faut que nous, les avocats, soyons à la hauteur de nos clients. On voit arriver le moment où on devra parler lors des plaidoiries. Il est pratiquement déjà acquis qu’on ne pourra pas plaider pour chaque victime. Dans un procès de droit commun, on a généralement une demi-heure pour parler de chaque victime et ça ne gêne personne. Dans ce procès inédit, il va falloir réfléchir à la manière de représenter tout le monde alors qu’on n’a pas le temps. Il va falloir remettre en cause les plaidoiries classiques et se demander que faire pour ne pas que les victimes soient oubliées.
Les témoignages des victimes monopolisent le début de ce procès. Est-ce nécessaire?
Les victimes donnent cette impression d’accumulation de souffrance. Il faut se coltiner la masse de souffrance. On ne peut pas procéder par échantillon et ce serait trop facile de ne sélectionner que 10 victimes.
En face, dans le box des accusés, on les sent très concernés par ces témoignages.
On peut penser que l’audition des victimes aura un effet sur les choix de la défense. Ces témoignages, cela peut provoquer des rétractations ou des libérations de parole.
Le grand enjeu de la défense, c’est de sortir tout le monde de l’état dans lequel on est actuellement. On est maintenant absorbé par l’état des victimes et il faudra déconnecter.
Je comprends très bien ceux qui disent qu'on ne peut pas réduire le procès à la parole des victimes. D'ailleurs, les victimes elles-mêmes disent à la défense: «Faites votre boulot». C'est à la fois le meilleur et le pire qu'on puisse souhaiter à la défense. C'est le meilleur car on leur dit qu'ils ont leur place, et c'est le pire car on ne leur offre pas ce levier de dire «on s'acharne sur moi». Il y a très peu de personnes qui sont dans une démarche de vengeance.
Le procès de Paris et le procès du 22 mars 2016 à Bruxelles sont en connexion. N’aurait-on pas dû lier les deux dossiers?
Il y a une unicité des parcours qui aurait justifié un tronc commun. C’est dommage qu’on n’ait pas pu regrouper certains points. Pour le coup, cela aurait été un procès unique entre deux pays de l’Europe.
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