Santé mentale: deux témoins racontent leur vécu avec Pléiade
La semaine de la santé mentale, jusqu’au 17 octobre, est l’occasion de faire le point sur le travail des équipes mobiles. Témoignage d’usagers de Pléiade, à Namur.
Publié le 12-10-2020 à 07h00
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PIERRE: «MA PSYCHOSE EST UN PROBLÈME À STABILISER»
«Je suis très content de Pléiade» dit d'emblée Pierre. Ce quadragénaire (ou presque) rencontre une équipe mobile en santé mentale toutes les semaines, à son domicile.
Ça l'a beaucoup aidé. «Ils me suivent depuis environ quatre ans. Il y a deux ans, j'ai eu une crise: je ne me reconnaissais plus, je perdais la tête, j'avais beaucoup de violence en moi. Les équipes de suivi ont remarqué le problème et l'ont communiqué à ma famille. » L'hospitalisation a pu intervenir avant qu'il soit au plus mal.
L’hôpital, avec modération
Depuis cette crise de 2018, Pierre ne boude pas l'hôpital, mais il n'y va plus que pour des séjours brefs, programmés: « pour faire le point se reposer, évaluer le traitement... Je suis stabilisé, maintenant.»
Mme Badri et M. Gilson sont ses personnes de contact à Pléiade. «On vient généralement seul, mais si on voit que ça va un peu moins bien, on vient tous les deux, car on réfléchit mieux à trois», explique Mme Badri
Le troisième, c’est Pierre, usager, pas patient, bien que Mme Badri soit infirmière psychiatrique de formation. Il est le patient d’un psychiatre et d’un psychologue extérieur à l’association. Ses référents l’appellent par son nom de famille et le vouvoient. Il y a énormément de respect de part et d’autre.
Observer de l’intérieur
Cet usager apprécie le fait que Pléiade se déplace à son domicile: «Ça leur permet de m'observer de l'intérieur.» De quoi parlent-ils lors de leurs entrevues? «De la qualité de mon sommeil, des activités que j'ai eues, de celles que je prévois, de mon traitement...»
La bulle de Pierre, c'est aussi l'aide familiale qui l'aide à tenir son intérieur, l'infirmière qui lui fait une injection, tous les trois mois, son papa, administrateur de ses biens «parce que j'avais la fièvre acheteuse »... Il voit quelqu'un presque tous les jours.
Il est sorti de cette marginalité où il avait plongé au début de ses études, en commençant à consommer du cannabis. «Je fume juste du CBD, qui est légal, qui détend mes muscles, procure les mêmes odeurs... mais sans la fragilisation des psychotropes qui provoquent la fuite des idées et la paranoïa. »
Un handicap
L'étiquette qui a été posée sur son cas, il y a 20 ans à la «Vierge noire» (SPF sécurité sociale), c'est celle de schizophrénie. Mais Pierre n'aime pas le mot «maladie»: «C'est comme un handicap qui ne se voit pas, une nervosité qui turbine dans ma tête, entraîne la solitude, la peur d'être agressé.» La psychose provoque des hallucinations. Sa réaction, c'est d'écrire des poèmes et des nouvelles, qu'il édite à compte d'auteur. «J'ai besoin de garder la forme intellectuellement», dit-il.
Il n'a jamais arrêté d'apprendre: deux années d'ingénieur en agronomie, puis des passages dans d'autres branches: d'assistant en pharmacie, aide-soignant, et écrivain public. Il se dirige aujourd'hui vers l'Université tous âges de Namur. « Il y a des cours de danse, d'hébreux biblique, entre autres.» Ces activités l'attirent d'autant plus qu'elles sont ouvertes à tous, ne le coinçant pas dans le milieu psychiatrique. «Ce contact social avec les autres, c'est très agréable.»
ROBERT: COMME UN FUNAMBULE QUI SAIT QU’IL SERA RATTRAPÉ
Sweat à capuche, chaussures sport, masque anti-Covid... Robert (nom d'emprunt) a l'air d'un adolescent mal à l'aise quand nous le rencontrons. «On en a discuté ensemble, Monsieur et moi, et on a conclu que cela pouvait être un bon exercice pour lui », dit Ludovic Dahlem, éducateur spécialisé, qui est l'un des référents du quadragénaire à Pléiade.

Ludovic rencontre Robert tous le quinze jours, et le voit évoluer positivement. Cette étape de l’interview, c’est une opportunité. Pour d’autres, ce sera du bénévolat, un cours de peinture ou une démarche pour reprendre un job mis entre parenthèses à cause de l’incident de santé mentale.
«Il ne sera plus là»
Les premiers épisodes mal-être remontent à l'enfance. «Ce n'est qu'il y a une dizaine d'années qu'on m'a diagnostiqué une cyclotymie de niveau deux. » Cette maladie provoque des changements d'humeurs intenses et rapides. «Il y a cinq ans, j'ai eu des idées noires et j'ai eu peur pour moi, donc je me suis rendu aux urgences. Le 1er hôpital ne m'a pas pris au sérieux, et m'a dit "Revenez dans deux jours." L'amie qui m'accompagnait a répondu: "Il ne sera plus là dans deux jours!" Je suis allé dans un 2e hôpital, où on m'a gardé pendant deux mois. Quand j'ai sonné au 1er pour dire que je ne viendrais pas à la date convenue, on ne se souvenait même pas de qui j'étais.»
Fonctionner avec Pléiade évite de se heurter à un mur de ce type, car parallèlement aux équipes de suivi, comme Ludovic, qui accompagne Robert en continu, il existe des équipes de crise qui interviennent pour les épisodes aigus, réorientant parfois l’usager vers un hôpital psychiatrique, avec un contact préalable, pour expliquer la situation.
Depuis qu'il est usager de Pléiade, Robert a été hospitalisé, une fois, sept semaines complètes, puis en hôpital de jour, deux fois par semaine... Mais en «douceur», sans tomber dans un épisode aigu. «C'est comme un funambule qui sait qu'il peut être rattrapé s'il chute» dit Ludovic.
«J'étais mieux armé en arrivant à l'hôpital: en passant la porte, j'ai senti un soulagement, j'arrivais dans un cocon, pour me recentrer sur moi et mes envies. J'ai également reçu une médication correcte. Tout cela m'a donné plus de courage pour penser au travail et à la famille.»
«Pour mes enfants»
Robert a deux enfants, dont il a la charge complète une semaine sur deux. « Je vis en fonction de ma famille, c'est pour ça que je me bats.»
Et parfois, lors de leur rencontre bimensuelle, c'est de son rôle de père que Robert parle avec Ludovic, qui commente: «Il ne se débrouille pas mal! Ses enfants sont un vrai facteur de mobilisation.»