Agriculture urbaine : «Les citadins ont besoin de se reconnecter à la nature»
En 2050, nous serons 9,5 milliards d’humains, et les 3/4 vivront en zone urbaine. Alors qui nourrira nos villes demain?
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- Publié le 30-07-2018 à 06h00
La Foire agricole de Libramont, qui se termine ce lundi, a choisi pour thème de son édition 2018 «Qui nourrira nos villes demain?». Haïssam Jijakli professeur à la faculté de Gembloux Agro-Bio Tech et spécialiste de l’agriculture urbaine en a fait le discours d’inauguration. Alors on lui a posé la question.
En 2050, 75% de la population vivra en ville. Est-ce que l’agriculture urbaine va devenir une nécessité?
L’agriculture urbaine telle qu’on la conçoit va contribuer en partie à nourrir les villes, mais elle ne va pas remplacer, bien loin de là, l’agriculture conventionnelle dans nos campagnes. Par exemple, on a étudié la région de Bruxelles Capitale où on estime qu’on pourrait produire 30% des fruits et légumes frais.
Quand on pense aux villes, on pense à la pollution…
Il y a deux types de pollution. La pollution du sol et la pollution de l’air. La pollution du sol, si on est dans des endroits où il y a eu beaucoup d’industries sidérurgiques ou d’industries lourdes, il y a de fortes chances pour qu’il soit pollué donc il vaut mieux faire une analyse. Il y a moyen de dépolluer ou de se protéger des pollutions éventuelles de la terre. La deuxième pollution, c’est au niveau de l’air. Plus on s’élève, moins l’air est pollué. Des études ont été faites sur les toits de Paris: au 4e étage, en plein milieu de la ville, les légumes étaient tout à fait propres à la consommation. On a aussi fait des tests avec des haies qui captent pas mal de polluants. La troisième chose à prendre en compte, c’est le légume ou le fruit: ils ne sont pas tous égaux devant la pollution. Certains vont accumuler des polluants dans les parties vertes, c’est souvent là que ça se fait… dans les légumes feuilles comme les laitues, les épinards, les plantes aromatiques… Par contre, les tubercules ou les fruits en accumulent très peu, parfois pas. Mais là aussi il y a des exceptions: la carotte, par exemple, est sensible et puis d’autres pas du tout. C’est du cas par cas, il faut se faire entourer pour savoir ce qu’on peut faire ou ne pas faire.
On parle beaucoup de robots et d’automatisation alors que l’agriculture est un secteur qui demande beaucoup de main-d’œuvre…
Aujourd’hui la technologie robot n’est pas suffisamment abordable pour les petites surfaces. Ça veut dire que l’agriculture peut contribuer de manière sociale, puisqu’elle est demandeuse de main-d’œuvre. Et où trouve-t-on de la main-d’œuvre peu formée et qui est au chômage? Essentiellement dans les villes.
Est-ce que l’agriculture traditionnelle, à la campagne, a quelque chose à apprendre de l’agriculture urbaine?
Les deux agricultures ont à apprendre l’une de l’autre, elles sont complémentaires. Je pense que l’agriculture urbaine redonne ses lettres de noblesse aux produits agricoles. Que les citoyens, les citadins se remettent à cultiver eux-mêmes, ils vont se rendre compte que ce n’est pas si facile. Ce n’est pas arriver au supermarché, prendre le moins cher et en avant! Ici, il y a vraiment une conscientisation que la nature peut être merveilleuse dans ce qu’elle fait, mais que si on veut avoir de bons produits c’est peut-être pas si évident que ça. Se dire que les agriculteurs amènent de la valeur ajoutée, qu’ils peuvent aussi apprendre beaucoup de choses aux agriculteurs urbains qui sont plus souvent des néophytes. Et l’agriculture urbaine peut apporter principalement deux choses à l’agriculture traditionnelle: la diversification dans un monde où il y a encore de grandes monocultures. Et le modèle du circuit court, où il faut aller chercher son client final pour prendre les marges bénéficiaires de toute cette chaîne de distribution. Alors que beaucoup d’agriculteurs de nos campagnes sont déconnectés de leur client final…
L’agriculture urbaine ne peut pas être la même partout…
Une ville n’est pas l’autre, c’est du cas par cas. On a travaillé avec la commune de Leuze-en-Hainaut pour développer un nouveau quartier qui pourra être tout à fait autonome en fruits et en légumes. C’est plus facile quand la population est moins dense. À New York par exemple, il y a 15 000 ha de toitures plates, mais seulement 1 200 qui sont «agriculturisables». J’ai fait le calcul et 1 200 ha c’est pas suffisant pour produire ne serait-ce que les tomates en quantité suffisante pour la ville
C’est ça l’avenir: un retour à l’individualisation de la production?
En partie. Notre société est très exigeante au niveau du travail. On n’a pas le temps de s’occuper de tout quand on revient du boulot. Ça va rester pour beaucoup un loisir et donc un moyen marginal de produire. Mais c’est une reconnexion à la nature. Les gens des villes ont besoin de se reconnecter à la nature et l’agriculture urbaine est un moyen de le faire.
Pas chère, bénéfique, proche de chez soi… si c’est si génial, pourquoi l’agriculture urbaine n’est pas plus répandue que ça?
Les freins, c’est qu’on est dans la facilité. On a perdu le savoir-faire qui se transmettait aussi. Et aujourd’hui nos sociétés vont tellement vite… Pour l’agriculture urbaine professionnelle, les freins sont de trouver les modèles qui font que ça sera viable, économiquement. Aujourd’hui, la production seule est difficilement rentable en ville: il faut aussi transformer, distribuer et trouver d’autres activités complémentaires comme organiser des visites, des activités pédagogiques, faire restaurant… Et ça, les modèles sont en train de se trouver. On n’a pas beaucoup de modèles économiques en Europe pour dire «faites-le, c’est rentable» et ça, c’est un frein majeur pour l’activité professionnelle.