L’incroyable histoire d’un Belge jugé pour le meurtre d’un artificier français 12 ans plus tard : il n’y a ni empreinte, ni ADN, ni aveux
Youssef Touffali, un belgo-marocain, comparaîtra le 4 décembre 2023 devant la cour d’assises du Nord, en France. La piste d’un triangle amoureux serait à l’origine du meurtre d’un artificier français en 2011. Douze ans plus tard, le Bruxellois crie son innocence.
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Publié le 05-05-2023 à 09h23
Ce matin-là, cette petite ville ouvrière de Louvroil, dans le Nord-Pas-de-Calais (France), se réveille dans la stupeur. Un père de famille sans histoire, bien connu et apprécié de tous, est retrouvé sans vie dans le fond de son magasin de feux d’artifice et de farces et attrapes ravagé en quelques minutes par les flammes. L’incendie n’est pas accidentel.
Un coup porté avec une arme tranchante
Les constatations du médecin légiste permettent de déterminer que Jean Moritz, 55 ans, est mort avant le sinistre. D’un coup porté avec une arme piquante et/ou tranchante qui a sectionné une artère carotide. Trois autres plaies sont découvertes ainsi que des traces de coups relevées sur le corps de la victime. Des coups portés par Youssef Touffali, un Bruxellois dont l’ex-compagne et mère de ses quatre enfants entretenait une liaison avec la victime ? Entendu à plusieurs reprises, il n’a rien fait. À ses yeux, en tout cas.
Policiers et magistrats se sont succédés sur cette affaire. Douze ans d’enquête, de mystères, de fausses pistes ont été nécessaires avant que Youssef Touffali soit renvoyé devant la cour d’assises du Nord, en France, pour le meurtre de l’artificier survenu le 1er juin 2011. Pourtant, il n’y a ni empreinte, ni ADN, ni aveux de l’inculpé. L’homme, qui croupit dans les vieux murs d’une prison nordiste, crie encore et toujours son innocence. Alors, pourquoi la Justice l’a-t-elle placé sous mandat d’arrêt ? Explications.
Hé Tous feux Toutes fêtes (Ndlr : le nom de la boutique), laisse les gens qui sont en ménage. C’est un conseil, eh écoute-le, c’est pas de la plaisanterie.
L’enquête, qui n’a pas été facile, mène à l’interpellation de multiples personnes. D’abord celle du fils de la victime, encore mineur d’âge à l’époque, présent dans l’appartement jouxtant le magasin, entendu comme témoin. Ensuite celle d'autres protagonistes du dossier, dont l’auteur d’un message de menaces adressé via Facebook à la victime, plus d’un mois avant le drame. “Hé Tous feux Toutes fêtes (Ndlr : le nom de la boutique), laisse les gens qui sont en ménage. C’est un conseil, eh écoute-le, c’est pas de la plaisanterie.” Un message écrit par le fils d’un nommé Youssef Touffali dont l’ex-épouse entretient une relation avec la victime. L’homme “vivait particulièrement mal cette liaison”, apprendra-t-on plus tard dans le cadre de l’instruction judiciaire ouverte. Ce qui en fait le principal suspect. Dans le viseur des enquêteurs, Youssef Touffali est maintes fois interrogé, placé sur écoute téléphonique et son domicile perquisitionné.
Son alibi s’effondre rapidement
Lorsqu’il est entendu, le belgo-marocain prétend ignorer avant le meurtre la relation amoureuse entre Sylvie, son ex, et Jean Moritz (la victime, Ndlr). Pourtant, son fils n’ignorait pas cette relation amoureuse puisqu’il n’hésitait pas à menacer Jean Moritz par internet quelques jours avant le meurtre. Les investigations judiciaires révèlent que son portable a été coupé la veille des faits jusqu’à quelques heures après le décès de Jean Moritz. Troublant. Il a, par ailleurs, assuré aux fins limiers de la police judiciaire (PJ) de Lille avoir passé la journée du meurtre dans une famille de Louvroil. Or, son alibi s’effondre rapidement, “puisque différentes personnes censées avoir passé avec lui la matinée du 1er juin 2011, entendues par la Direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) de Lille, niaient ce point”, précise François Pérain, le procureur de Valenciennes.
Il entretenait une relation avec une femme mariée, battue, qui avait des enfants...
Des auditions menées dans le voisinage ou auprès des proches de la victime, il ressort que plusieurs personnes ont recueilli les confidences de l’artificier. “Il entretenait une relation avec une femme mariée, battue, qui avait des enfants”, explique une amie de l’artificier auprès des enquêteurs, ajoutant que Jean Moritz avait eu des visites du mari de cette femme “à deux ou trois reprises”. “Le mari l’avait menacé de lui mettre son poing dans la figure s’il continuait sa relation”, ajoute-t-elle dans sa déclaration.
Un témoin a indiqué avoir recueilli les confidences de Touffali quant à la jalousie qu'il nourrissait à l'égard de la victime et avoir menacé de l'égorger.
D’autres ont indiqué avoir reçu les confidences du quinquagénaire sur des menaces de la part d’un homme nord-africain vivant avec une certaine Sylvie. Tous les soupçons se portent donc sur l’ex-compagnon de Sylvie, Youssef Touffali. Reste que le principal suspect, bien qu’inculpé d’homicide volontaire, nie le drame. “Il exclut ressentir de la jalousie et dit se désintéresser des relations sentimentales que la mère de ses enfants pouvait entretenir avec quiconque”, indiquent les enquêteurs après un énième interrogatoire. Pourtant, un témoin nommément cité dans le dossier a indiqué avoir recueilli les confidences de Touffali quant à la jalousie qu’il nourrissait à l’égard de la victime et avoir menacé de l’égorger.
Plusieurs condamnations en Belgique et en France
Décrit par l’expert psychologue comme “un sujet liminaire, au faible potentiel intellectuel et peu acculturé”, avec “un aménagement très fruste et égocentré de la personnalité”, Youssef Touffali possède un casier judiciaire. Il a ainsi déjà été condamné à cinq reprises en France, notamment pour des faits de vols, et à deux reprises en Belgique pour des faits de vols avec effraction, coups et blessures, rébellion, outre dix condamnations pour des faits de roulage.
Afin de statuer sur le renvoi de l’inculpé devant une cour d’assises, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai a retenu “un emploi du temps invérifiable le jour des faits”, avec un homme qui “a donné de multiples versions de son emploi du temps au moment” du meurtre, “évoluant quant aux personnes rencontrées dans la matinée et quant aux horaires”. “Aucune des personnes citées n’a pu confirmer sa présence aux dates, horaires ou circonstances avancées”, relève encore la juridiction.
Youssef Touffali (50 ans) est-il innocent comme il le clame depuis le début de cette affaire ? Ou n’a-t-il pas supporté la relation qu’entretenait son ex-compagne avec Jean Moritz ? Né au Maroc avant de s’installer avec sa famille en Belgique à l’âge de 6 ans, celui qui a travaillé comme ouvrier communal et qui a exercé plusieurs métiers comparaîtra détenu le 4 décembre 2023 devant la cour d’assises du Nord. Il risque l’emprisonnement à perpétuité. L’audience devrait durer une semaine.
Libéré sous conditions, il ne les a pas respectées : retour en prison
Placé sous mandat d’arrêt en juin 2015, le meurtrier présumé de l’artificier a été libéré sous conditions strictes en mars 2016. N’ayant pas respecté les obligations et conditions imposées (dont celles de ne plus se rendre dans certaines communes ou encore de prévenir le juge d’instruction de tout changement de domicile), l’homme a à nouveau été incarcéré début janvier 2022. Son contrôle judiciaire a donc été révoqué.
L’avocat de la famille de la victime : “Tous les éléments d’enquête nous amènent à ce suspect et à personne d’autre”
L’avocat de la famille de Jean Moritz, Me Emmanuel Riglaire, se réjouit de la tenue d’un procès d’assises en décembre prochain. “La famille de la victime a toujours été convaincue que le meurtrier était M. Touffali”, explique Me Riglaire. “Il a fallu être extrêmement patient pour que l’enquête aboutisse, pour que les éléments ressortent. Force est restée à la patience, puisque M. Touffali, par son comportement, montre que nous avions raison de croire en cette piste.”
C’est le 30 juin 2015, quinze jours après la diffusion d’un documentaire dans l’émission Non élucidé sur France 2, que le suspect a été arrêté et mis en examen pour le meurtre de Jean Moritz. “Tout le monde s’est agité, puis il y a eu le tournage, et le buzz local, avec des écoutes téléphoniques aussi. Cela a permis de remettre le dossier sur le haut de la pile”, assure Me Riglaire. “Dans le cadre de la préparation de cette émission de télé, les témoins se sont rendu compte qu’ils s’étaient trompés. L’émission a été déterminante, permettant d’élucider cette affaire.”

Et l’avocat de la famille de l’artificier d’ajouter, face aux dénégations de l’inculpé : “Tous les éléments d’enquête nous amènent à ce suspect et à personne d’autre.”
”Nous n’avons ni empreinte, ni ADN dans cette affaire. Devant la cour d’assises, ce sera une véritable décision basée sur l’intime conviction”, conclut Me Emmanuel Riglaire.