”Si je ne m’exécutais pas, ils me menaçaient” : l’incroyable témoignage d’une Belge victime d’un réseau de traite des êtres humains, dont des mineures
L’exploitation sexuelle d’enfants en Belgique constitue une réalité. Un phénomène criminel en plein essor. Une victime belge d’un réseau de traite des êtres humains, dans lequel elle a côtoyé des mineures, a accepté de témoigner à L'Avenir.
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Publié le 18-03-2023 à 15h13
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”C’est seulement quand on en sort qu’on réalise les séquelles à vie qu’on va garder de la traite des êtres humains.” Jeunes filles nigérianes prostituées dans les rues de Bruxelles, exploitation sexuelle d’enfants en Belgique et ailleurs ou encore prostitution estudiantine constituent une réalité qui fait régulièrement la Une de l’actualité.
Survivante d’un réseau de traite d’êtres humains dont des mineures, Maïté, une Bruxelloise âgée de 30 ans, sait de quoi elle parle. Elle a même écrit plusieurs livres sur le sujet dans lesquels elle témoigne des violences sexuelles qu’elle a subies mais pas seulement : elle interpelle des acteurs du système judiciaire belge et du service d’aide à la jeunesse sur les manquements, les pistes pour améliorer un secteur complètement désargenté et qui doit pourtant assurer la protection de mineurs en détresse. Si elle s’exprime sans tabou, la jeune femme insiste sur un point : il ne convient pas de parler de “prostitution de mineurs”. Ce sont des termes qu’on ne peut associer, selon Maïté et les autres victimes d’abus sexuels. “En fait, cela donne l’image du gosse qui ferait le choix d’aller se prostituer sur un trottoir alors que ce n’est pas exact, puisqu’il est se trouve toujours sous l’influence de quelqu’un d’autre.”
Souvent, ce sont des jeunes filles se trouvant dans des foyers, et qui sont donc déjà fragilisées qui sont repérées. Notamment sur des sites comme Top Model Belgium ou Miss Belgique...
Celle qui combat avec force et courage la pédocriminalité n’était pas mineure lorsqu’elle a été victime d’un réseau. Elle avait 20 ans même si, dit-elle, la plupart des filles avaient entre 14 et 22 ans et avaient majoritairement été contactées via Facebook. “Souvent, ce sont des jeunes filles se trouvant dans des foyers, et qui sont donc déjà fragilisées qui sont repérées. Notamment sur des sites comme Top Model Belgium ou Miss Belgique et à qui on propose par la suite de faux shootings photos au cours desquels elles sont violées et puis exploitées.”
Lors d'un entretien d'embauche, je me suis fait violer et j'ai ensuite été vendue pendant six mois dans un réseau...
Maïté, elle, avait envoyé un curriculum vitae à une société d’événementiel qui s’avérera ne pas exister. “Je suis allée à un entretien d’embauche dans un restaurant de Seraing, en région liégeoise”, se souvient la trentenaire. “Et quand je suis arrivée sur place, je me suis fait violer et j’ai été vendue pendant six mois dans un réseau. Je n’étais pas retenue force, j’ai pu rentrer chez moi mais j’étais constamment manipulée, harcelée, menacée…" Son bourreau "avait fait des espèces de catalogues non pas sur des sites dédiés à cela mais sur deuxièmemain par exemple". "On était vendue à plus moins 150 euros de l'heure et généralement prise pour une heure ou deux", dit-elle. "L'argent était gardé par le chef du réseau et on recevait de temps en temps quelque chose mais celles qui touchaient le moins ce sont les mineures car elles sont encore plus facilement manipulables."
Et Maïté d'ajouter que "lorsqu’une personne vient de se faire violer, elle ne sait plus trop où elle en est, elle ne comprend plus grand-chose". "Si je ne m’exécutais pas, ils menaçaient de s’en prendre à ma compagne de l’époque.”
Il y a énormément de violence institutionnelle. Et quand on sort d'un foyer, on n'est pas armé à faire face à société. C'est donc plus facile pour les réseaux de traite des êtres humains de tomber sur ce type de profil.
Celle qui dit avoir été violentée au cours de son enfance et placée dans un foyer n’a eu d’autre choix que de s’exécuter. Encore et encore. Machinalement. Sans pouvoir apercevoir une lueur d’espoir. Jusqu’au moment où elle a pu s’en sortir.
”Les services d’aide à la jeunesse ne parviennent plus à aider les enfants. Il y a énormément de violence institutionnelle. Et quand on sort de là, on n’est pas armé à faire face à société. C’est donc plus facile pour les réseaux de traite des êtres humains de tomber sur ce type de profil.”
”La Belgique est une plaque tournante depuis des années”, insiste Maïté. “Il y a quelques mois, le gouvernement fédéral a mis en place une Commission de traite des êtres humains pour analyser ces phénomènes en Belgique. J’ai la sensation que la sphère politique évolue dans un autre monde puisque dans la pratique, rien ne bouge. Pourtant, dans un rapport du Conseil de l’Europe, un enfant sur cinq est victime de pédocriminalité en Europe, que ce soit dans la sphère privée ou ailleurs.”
Le phénomène criminel du proxénétisme d’ados “est en plein essor”, selon un enquêteur spécialisé de la police fédérale. Dans quelles proportions ? Il reste extrêmement compliqué de répondre à la question. La raison ? L’absence de statistiques officielles, comme l'indique un rapport transmis à la Fédération Wallonie-Bruxelles que L'Avenir a pu se procurer. S’il n’existe pas de profil type de l’adolescente victime, certaines caractéristiques sont toujours présentes : des jeunes filles en position de fragilité, avec des antécédents familiaux chaotiques. Combien de (très) jeunes filles sont-elles exploitées pour vendre leurs charmes ? Là aussi, il est impossible d’avoir des chiffres. Quoi qu’il en soit, là n’est pas le débat. Mais bien que le phénomène cesse. Au plus vite.
"Des vautours" les surveillent sur les réseaux sociaux ou autour des institutions où elles sont placées
En 2022, Child Focus, la Fondation pour enfants disparus et sexuellement exploités, a traité 63 nouveaux dossiers de prostitution d’ados. Soit une hausse légère par rapport à 2021 (56 cas). Les victimes signalées à Child Focus ont, en moyenne, entre 15 et 17 ans. Mais trois d’entre elles avaient 14 ans, trois autres 13 ans et une mineure avait à peine 12 ans. Il s’agit majoritairement d’adolescentes belges issues du secteur de l’aide à la jeunesse.
Si les proxénètes utilisent des applications comme TikTok ou Snapchat pour dénicher leurs nouvelles victimes, "ils rôdent encore sur le terrain, près des institutions de protection de la jeunesse où des adolescentes sont placées, ou encore dans les gares fréquentées par les jeunes en fugue", insiste Maïté. Et ce, en adoptant les techniques des rapaces, selon l’étude exploratoire de Child Focus sur le phénomène à Bruxelles.
La pandémie a fait surgir plusieurs phénomènes criminels inquiétants. Outre les piratages informatiques, il semble que la prostitution de mineures grimpe en flèche, selon la police fédérale. "Il est difficile d’obtenir des chiffres précis car une partie a lieu clandestinement mais c’est une tendance que l’on constate globalement avec la forte présence des médias sociaux", a indiqué le commissaire Éric Garbar, chef de la section Traite et Trafic d’Etres Humains de la Direction centrale de la lutte contre la criminalité grave et organisée (DJSOC), sur le site Web de la police fédérale. Son équipe de onze personnes soutient les enquêteurs de terrain. "Nous recueillons des informations et des renseignements afin d’aider au mieux les collègues. Et les mineurs d’âge figurent en tête de nos priorités."
Même si nous possédons une équipe chargée d’effectuer des recherches sur Internet, nos moyens manquent souvent et la vigilance des citoyens nous est donc indispensable!
"Ceux qui exploitent les jeunes filles mineures de 14-15 ans agissent beaucoup à travers Snapchat et TikTok. Et même si nous possédons une équipe chargée d’effectuer des recherches sur Internet, nos moyens manquent souvent et la vigilance des citoyens nous est donc indispensable!"
Les garçons sont aussi touchés par le phénomène, mais la prostitution masculine est encore plus difficile à détecter, selon cet enquêteur.