Portrait de Xavier G., UrbExeur
"Les seules traces que nous laissons sont celles de nos pas"
Tom EVRARD
Le costume noir tiré à quatre épingles, rasé de près, assis derrière un large bureau en bois comportant quelques dossiers financiers et une petite agrafeuse, Xavier est employé dans le secteur bancaire. «Une petite tasse de café ?» glisse-t-il avec un large sourire avant de prendre un appel téléphonique. Mais quelques fois par année, Xavier troque son complet sombre pour une tenue plus «rustique », complétée par une solide paire de chaussures, une lampe de poche et un appareil photo. Soit le parfait nécessaire de base pour pratiquer une activité un peu particulière : l’exploration urbaine.
«J’ai découvert cette activité voici un peu plus de deux ans lors d’une visite du château de Noisy avec un ami qui pratiquait déjà, explique Xavier. C’était étonnant de voir ces lieux majestueux complètement désertés. Je ne connaissais pas du tout cette activité qui consiste à visiter des endroits abandonnés, parfois même oubliés. Certains d’entre eux sont étonnamment bien conservés, un peu comme si le temps s‘y était arrêté. Et on peut facilement imaginer des scènes de la vie quotidienne... »
Mais ça lui a plu. Et il a continué, encore et encore. «Aujourd’hui, nous sommes un groupe de quatre à sortir régulièrement pour faire de l’exploration urbaine.» En Belgique, et à l’étranger aussi. Les sites? La liste est kilométrique : charbonnages, hangars, chapelle, ancien théâtre, manoirs, anciennes infrastructures militaires, ancien cabinet dentaire, etc. Et la liste fluctue dans le temps : certains sites déboulent dans la liste des «spots » potentiels là où d’autres la quittent suite à des travaux, par exemple. « J’ai une banque de données reprenant de 200 à 300 sites en Belgique. Mais il y en a en réalité bien davantage et je n’en ai vu qu’une petite partie. Il y a beaucoup de sites industriels mais on peut malgré tout trouver d’autres choses intéressantes, parfois carrément insolites. » Comme ce hangar bondé de vieilles «bagnoles » situé… heu… où ça? «On ne donne pas les adresses des sites, c’est une des règles de l’exploration urbaine… »
Les sites donc, il faut les trouver, ce qui demande une phase préalable de recherche, qui fait aussi partie du jeu. «Les journaux sont une source d’informations, tout comme les réseaux sociaux, le bouche-à-oreille ou encore des indices laissés par d’autres «urbexeurs » voire les échanges de données ou, dans de plus rares cas, le hasard...»
Sur place, pas question de faire n’importe quoi. «Nous ne sommes pas des têtes brûlées. La sécurité est la règle. On ne fait par exemple jamais d’exploration urbaine seul. Ensuite, pas question d’entrer par effraction. Si on ne sait pas entrer, on n’entre pas. On ne casse pas une fenêtre pour entrer, on cherche un accès disponible comme une porte ouverte, un trou dans un mur, etc.. À l’intérieur, nous n’abîmons rien et nous ne ramenons pas de «souvenirs». On visite et on photographie, c’est tout. Le truc, c’est de préserver l’endroit. Les seules traces que nous laissons, ce sont celles de nos pas...» Et tout ça pourquoi? La réponse peut être variable, au-delà du plaisir de la découverte et de la montée d’adrénaline lorsqu’on pénètre dans un lieu inconnu. Pour certains, ce sera immortaliser un patrimoine perdu là ou d’autres préféreront rechercher des traces de vie ou un style architectural... «Certains mettent ensuite leurs photos sur des réseaux sociaux, sur des blogs. Mais là aussi pas question de donner les noms exacts des endroits et des adresses. Les dévoiler signifie les offrir sur un plateau d’argent à des vandales ou des voleurs. »
Pas de nom donc. Juste une dénomination liée à un élément particulier du site. Qui peut dire ainsi ce que sont le Château au Matelas, le Parc Castor, l’Old Iron, la Zone Braams, la Villa du docteur Pepito, le théâtre Jeusette ou encore le Sanatorium D? Seuls les adeptes de l’exploration urbaine (ou presque) connaissent. Au fait combien sont ils chez nous? «Aucune idée», répond Xavier... En France, ils sont 10000 environ. Et il n’y a pas de profil type. Ingénieur, sans emploi, militaire, photographe, ouvrier, peu importe... «Seule compte l’envie de chercher et de découvrir, mais en respectant des règles.»