En ce début d'année 2016, L'Avenir vous emmène à la rencontre des migrants accueillis à la caserne de Belgrade. Découvrez leur histoire, leur parcours et leurs impressions
À la rencontre de Yaya, Bruno, Karo… Tous ces migrants que nous avons croisés à Belgrade.
View morePersécuté pour ses idées politiques, Yacouba Doucoure a fui le Niger. Il espère rentrer au pays lorsque le climat sera apaisé.
View moreArash Rasuli est Afghan. Il est arrivé en Belgique mi-novembre. Après un parcours périlleux, dans le froid, sans manger à sa faim. Rencontre.
View moreBruno est Congolais. L'homme a fui son pays après y avoir fait près de 8 mois de prison. Il doit son salut à... une source interne.
View moreÀ presque 30 ans, Karo a choisi de quitter son Kurdistan natal pour redémarrer une nouvelle vie… qui, il l'espère, commencera chez nous.
View moreIsmaïl est en Belgique depuis 1 mois. Il a quitté l'Irak pour fuir Daech mais aussi les milices chiites. Portrait d'un homme coincé entre deux feux.
View moreThaer, un Palestinien plus trop à l'aise dans ses baskets, sur la bande de Gaza.
View moreCe 31 décembre, au centre des réfugiés de Belgrade, c'était fête. Avec quelques groupes locaux qui ont fait monter le son.
View moreUn visage, un chemin et un espoir. Tout cela au singulier parce que cela tranche aussi avec le discours actuel où l’on évoque « les » migrants. Depuis des mois, on débat du sort « des réfugiés », ceux que l’on accueille avec des fleurs ou que l’on craint sans même les avoir rencontrés. Notre rédaction a donc préféré partir à la rencontre de Taher, Yaya, Bruno ou Karo, de passer un peu de temps en tête à tête avec chacun d’entre eux. Pour mettre un visage sur ces larges mouvements de population.
Et pour tous ceux-là, la Belgique c’est l’espoir. « Noir ou blanc, chrétien ou musulman : on sait qu’ici on sera traité de la même manière », s’enthousiasme Yaya. Les espoirs sont grands.
À Belgrade, ce ne sera pour eux qu’une étape de quelques semaines. 400 hommes y sont désormais accueillis. « C’est un centre de transit mais on veut améliorer progressivement le confort de toutes ces personnes », assure François Romedenne, le directeur de centre d’accueil géré par la Croix Rouge.
En septembre dernier, la photo du corps sans vie d'un petit enfant de trois ans, le visage contre le sable de cette plage de Bodrum, a probablement changé beaucoup de choses. « Oui, la photo du petit Aylan a certainement accéléré la prise de conscience de beaucoup de gens », confirme Xavier Istasse, réalisateur et photographe qui a pris une part importante dans cette série de portrait que nous vous proposons.
Par son talent, combiné à celui de notre photographe Florent Marot, est mis au service de la cause de tous ces migrants accueillis pour quelques jours ou quelques semaines sur le site militaire de Belgrade. Ces deux professionnels ont capté, avec sensibilité et pudeur, des regards, des sourires, des gestes du quotidien.
Tout cela, espérons-le, pour rappeler que oui, une photo peut changer le regard que l'on porte sur le monde.
Libero aux nerfs d'acier, Yaya Kelfat était footballeur professionnel en Syrie. À Belgrade, ce sont d'autres buts qui se présentent dans sa vie.
Yaya Kelfat a du souffle et du sang froid. Ces deux qualités lui ont été fort utiles dans sa carrière de footballeur professionnel. « J'ai été libéro dans plusieurs clubs de première division comme Jabala, El Wahda… Et c'est vrai que mon côté cool, en défense, le fait de ne jamais trop paniquer, ça m'a aidé.»
Nous confessons à Yaya ne pas trop savoir qui du Jabala FC ou du Al Wahda Damas est l'équipe la plus titrée de Syrie. Sans perdre le sourire, le jeunehomme de 29 ans enclenche une séquence youtube avec un joli but de la tête devant un stade bien garni. Mais pour le Syrien, l'heure n'est plus trop au reprise de volée ou au tacle défensif. « J'ai quitté mon pays le 30 octobre », rappelle-t-il. « Quinze jours plus tard, j'arrivais en Belgique. J'étais épuisé, surtout nerveusement. Sur le chemin, ça peut mal tourner à peu près à chaque moment… » Le jeune sportif, orginaire de Latakia, évoque cette traversée entre la Grèce et la Turquie, au milieu des familles, avec des petits bébés.
Tout cela, espérons-le, pour rappeler que oui, une photo peut changer le regard que l'on porte sur le monde.
Lui, il laisse derrière lui ses six frères, ses trois sœurs, sa maman et son papa. « En plus, papa ne va pas trop bien. Je vais essayer de les aider comme je peux », souffle-t-il.
Son départ, il explique tout simplement. « Je n'ai pas eu le choix : c'était soit l'armée ou la prison. » Dans les deux cas, Yaya fait comprendre que son espérance de vie n'était pas réjouissante. Il n'ira pas beaucoup plus loin dans les détails. « J'ai déjà répondu aux mêmes questions au commissariat », lance-t-il, comme une bonne vanne. Rires dans la pièce. « J'aime bien de faire de l'humour », précise-t-il, si besoin en était. On apprécie aussi…
«De Syrie, on sait que la Belgique est une démocratie. Blanc ou noir, musulman ou chrétien : on nous dit que vous ne faites pas de différences. »
Et Yaya s'étonne de voir le portrait du Roi Philippe et de la Reine Mathilde, au sol, dans un coin de la pièce. « Vous devriez les mettre plus en évidence. Vous devriez être fiers de votre pays ».
Et Yaya de citer quelques-uns de nos meilleurs ambassadeurs : Hazard, Kompany, Fellaini… Le footballeur retrouve son souffle, sans perdre son sang froid. Deux atouts qui lui seront encore utiles dans son futur parcours.
Il n'a pas les allures de l'armoire à glace d'un défenseur central de Premier League anglaise mais Yaya a d'autres atouts pour protéger ses buts. «Je suis surtout quelqu'un qui a du sang froid. Je ne panique pas même quand il y a des situations chaudes devant mon but », sourit ce footballeur professionnel qui a joué en D1 de sa Syrie natale.
« J'aimerais retrouver un club dans cette région pour pouvoir montrer mes capacités », lance-t-il comme une bouteille à la mer. Yaya pourrait en effet faire parler son talent sur nos pelouses namuroises. Bien plus encore qu'un héros du gazon…
Yaya parle avec passion de Latakia, sa ville au bord de la Méditerranée. Là où vivent toujours ses frères et sœurs et ses parents.
C'est d'ailleurs parce qu'ils pensent à eux qu'il se fait plus discret quand il évoque son long chemin, ce périlleux périple qui l'a amené, en novembre, à Belgrade. « Je ne veux pas en dire de trop. Cela peut les mettre en danger », souffle-t-il. Yaya parle quand même de cette traversée de la Turquie et puis de ce bateau pris pour arriver en Grèce. « Il y avait beaucoup de familles et des très petits enfants. On était très nombreux sur ce tout petit bateau. »
Arrivé en Belgique, Yaya garde en souvenir un moment très fort. « J'ai pleuré tellement j'étais ému », explique le Syrien qui garde aussi en mémoire cette immense fatigue mais aussi ce stress permanent tout au long de ce voyage pas comme les autres.
Persécuté pour ses idées politiques, Yacouba Doucoure a fui le Niger. Il espère rentrer au pays lorsque le climat sera apaisé.
«C'était le 3 décembre, un jeudi. » Yacouba Doucoure, un Nigérien de 22 ans, n'oubliera jamais la date de son arrivée au centre pour réfugiés de Belgrade.
Le jeune homme très détendu que nous rencontrons à la cantine du centre est heureux d'être en Belgique, où il espère obtenir l'asile politique. « J'ai quitté mon pays parce que j'ai des problèmes avec le gouvernement, dit-il. Le président Issoufou fait tout pour faire taire ses opposants car il craint de perdre les prochaines élections, en 2016. »
Les pancartes au feu
Yacouba explique qu'il s'est engagé auprès des jeunes du parti Lumana Africa, le Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine, et que c'est à ce titre qu'il est en danger. « J'ai été arrêté par la police le 14 novembre, dit-il. On m'a dit qu'on avait brûlé les pancartes de manifestation qui se trouvaient chez moi. Je suis resté trois jours à la police judiciaire puis avec l'aide d'une amie je me suis enfui au moment de mon transfert vers la prison. J'ai fui chez un ami de mon père, au Burkina Faso, qui m'a trouvé des papiers. Je suis resté là six jours et j'ai pris l'avion pour la Belgique. J'ai quitté mon pays au bon moment : le président de mon parti et le président des jeunes sont tous les deux en prison. »
Yacouba a abandonné son commerce « de boubous et de matériel électronique » à Niamey, la capitale du Niger, et a laissé au pays une sœur de 15 ans. « Elle est chez ma tante, elle ne risque rien », dit-il. Son objectif n'est pas de faire sa vie en Europe, assure-t-il : « Si j'ai la certitude que je peux rentrer chez moi sans danger, alors je préfère rentrer. Mais je sais aussi que je peux aussi continuer la lutte politique à partir d'ici... Pour le moment, je cherche juste à être en sécurité. Ce qui se passera pour moi après, je n'en sais rien, c'est à Dieu de décider. »
L'ennui et la pluie
La vie au centre de Belgrade s'écoule dans l'ennui et l'attente de la suite : c'est un centre de transit où les candidats réfugiés passent quelques semaines avant d'être dirigés ailleurs. « Il n'y a pas grand-chose à faire de ses journées, dit Yacouba. Mais sinon ça va, l'accueil est bien organisé, ici. » Hormis avec quelques Africains francophones, Yacouba n'a pas énormément de contacts avec les autres résidents du centre de réfugiés, où vivent beaucoup de Syriens, d'Irakiens, d'Afghans. «Avec la plupart, on n'a pas la même langue ni la même façon de vivre, alors on n'a pas beaucoup de relations, dit-il. Mais ça va. En dehors de petites tensions parfois, ça va. »
Le gros point négatif de son séjour en Belgique, c'est... la nourriture ! « Franchement, je ne trouve pas ça très bon, avoue-t-il. Je ne suis pas habitué à ce genre d'alimentation. J'ai même des difficultés à bien digérer. » Le climat, lui aussi, surprend. « Depuis que je suis arrivé en Belgique, j'ai l'impression qu'il a plu chaque jour », sourit Yacouba. Qui tire une autre tête encore lorsqu'on lui parle d'une météo exceptionnelle pour la saison. « Il devrait neiger et geler ? Vraiment ? », s'étonne-t-il en se félicitant d'avoir un bonnet.
Yacouba n'a pas connu un voyage aussi périlleux que certains migrants qui confient leur destin à travers mers à de frêles embarcations surchargées... Mais son périple à lui a tout de même connu une étape sensible, celle de la fuite de son pays afin de se mettre à l'abri d'un régime hostile à ses idées, dans un environnement chahuté sur le plan politique depuis de nombreuses années. « Je devais quitter le Niger et passer la frontière du Burkina Faso le plus vite possible», dit-il. Une frontière qui n'est heureusement qu'à 100 kilomètres de Niamey, la capitale nigérienne. Le transfert depuis Ouagadougou vers la Belgique s'est ensuite fait en avion.
Arash Rasuli est Afghan. Il est arrivé en Belgique mi-novembre. Après un parcours périlleux, dans le froid, sans manger à sa faim. Rencontre.
Il est arrivé en Belgique depuis quelques jours. Son périple a été long, très long. En tout, il a duré trois mois. «Dans mon pays, les bombes explosent. On n'est pas en sécurité», explique Arash, 19 ans, la bouille souriante.
C'est son père qui lui a ordonné de partir, pour « aller vivre en paix.» Sac sur le dos et avec 1 400 dollars en poche, il a tout quitté, laissant derrière lui ses parents, ses trois sœurs, ses quatre frères et ses amis. « Je suis venu à pied, en voiture, en bus, en train. Je n'avais presque pas à manger, pas d'eau.
La nuit, il faisait très froid pour dormir. On a traversé des montagnes, des rivières. » Seul son grand frère a aussi eu la possibilité de fuir. Vers le Pakistan.
« Je n'ai pas le numéro de mes parents »
C'est à Bruxelles qu'Arash (de son vrai nom Ahmad Jawid Rasuli « mais tout le monde m'appelle Arash parce que c'est plus facile à prononcer ») est arrivé. Originaire de Kaboul, où son papa est commerçant, il était soulagé, heureux, éreinté aussi lorsqu'il a réalisé qu'il avait atteint son objectif.
Pourquoi le choix de la Belgique ? « On m'avait dit que c'était un bon pays, avec de bonnes personnes », raconte-t-il dans un anglais approximatif.
Actuellement, Arash n'a aucun contact avec l'Afghanistan. « Je n'ai pas le numéro de mes parents. Je ne le connais pas par cœur », explique-t-il.
À l'école, Arash était en terminale. « C'est l'année juste avant l'université. Mais je n'ai pas pu y aller, vu que je suis parti. »
Foot, boxe et prière
Fan de boxe, de bodybuilding, son long périple vers l'Europe lui a fait perdre quelques kilos. Dans le centre de réfugiés de Belgrade, une salle de fitness, de sport, est à disposition. Arash y passe du temps chaque jour.
En bon Musulman, il consacre aussi cinq « temps » de sa journée à la prière dans sa modeste chambrée ; une tente avec deux lits superposés installée dans un hangar chauffé qu'il partage avec trois autres réfugiés.
Des moments de recueillement que le jeune homme intercale entre deux parties de foot avec ses nouveaux copains venus d'Afghanistan, de Somalie et d'Arabie Saoudite.
Chez nous, Arash se sent bien accueilli. Ce qui lui manque ? « La bonne nourriture de son pays.» Son souhait ? « Que toute ma famille puisse venir ici, qu'on se retrouve ensemble, connaître la paix et être heureux. C'est difficile d'être loin des siens. »
« Ils veulent nous tuer, là-bas »
Au camp, Arash se sent bloqué. « Sans passeport, c'est difficile d'avancer ». En Belgique, à Namur, il n'a rien visité. « Je suis juste allé une fois à Bruxelles voir un ami Afghan. »
Le reste du temps, il le passe au centre. Pour dormir et manger. L'argent de poche (7 € par semaine) n'offre pas énormément de possibilités. « On aime bien aller au shop chercher du chocolat et des biscuits », s'amuse-t-il.
Lorsque la guerre sera finie, Arash espère rentrer dans son pays. « Mais pour l'instant, on n'y pense pas car ils veulent nous tuer là-bas. » Son rêve : travailler dans la mécanique, dans l'automobile.
À la main droite, Arash porte une bague bleu turquoise. C'est sa maman qui lui a offert avant son départ, « pour se souvenir ».
Les apparences sont trompeuses. Cette bouille innocente camoufle un immense déchirement. Le lourd bagage d'une guerre interminable.
Le parcours pour arriver en Belgique n'a pas été de tout repos pour Arash. De Kaboul, la capitale afghane d'où il est originaire, il est passé par le Pakistan puis l'Iran. À pied, via les montagnes, la jungle. Il est ensuite arrivé en Turquie où il a embarqué dans un mini-bateau chargé à bloc avec 52 personnes à bord. Direction : la Grèce.
Le jeune homme est ensuite passé entre autres par la Macédoine et la Slovénie où il a pris le bus et la voiture vers l'Autriche et l'Allemagne, avant de prendre le train vers la Belgique. Un long parcours de trois mois qu'Arash raconte souriant, sans pouvoir dissimuler l'humidité de ses yeux. Derrière lui, une longue route a laissé des traces.
La passion d'Arash : la boxe, le bodybuilding, le fitness. En Afghanistan, ce fan de basket et de mécanique, à la silhouette fit, enfilait les fameux gants matelassés pour tenir la forme.
Fan de Mike Tayson, Arnold Schwarzenegger, Bruce Lee, Arash aime les pecs bien gonflés, les corps sculptés. Son voyage éprouvant vers la Belgique l'a empêché durant plusieurs mois de poursuivre sa passion. Dans la salle de sport du centre de réfugiés de Belgrade, il s'y remet peu à peu. Bague turquoise de sa maman à la main droite et d'un ami à l'autre, il se sent protégé. Il rêve de rentrer chez lui, de retrouver sa famille, lorsque son pays replongera (enfin !) dans la paix.
Bruno est Congolais. L'homme a fui son pays après y avoir fait près de 8 mois de prison. Il doit son salut à... une source interne.
En cette fin de matinée, Bruno termine son boulot au centre de réfugiés de Belgrade. Charge du jour : le nettoyage des toilettes. Pas vraiment amusant mais plus agréable que la prison... Bruno est Congolais. Il est arrivé en Belgique il y a un peu plus d'un mois après avoir passé près de 8 mois en détention à Kinshasa.
Agé de 31 ans, ce jeune Congolais travaillait dans la capitale congolaise pour l'ONG ACVDP, « Action contre les violations des droits des personnes vulnérables ». « Mon boulot, c'était de sensibiliser la population à défendre ses droits . J'aimais ça ». Mais en janvier 2015, les choses se compliquent. « Le gouvernement du président Joseph Kabila a voulu faire passer une nouvelle loi électorale qui lui permettrait de se maintenir au pouvoir, explique Bruno (NDLR : des élections démocratiques sont prévues en 2016 et le président, qui a déjà été élu en 2006 et 2011, ne peut plus se représenter une 3e fois).
L'opposition était contre cette nouvelle loi. Il y a eu de grosses manifestations en République démocratique du Congo les 19-20 et 21 janvier 2015. Le 19, tout s'est bien passé. Mais le 20, il y a eu beaucoup de morts (NDLR : au moins 42 morts à Kinshasa) ; nous, on était en rue pour sensibiliser les gens à aller manifester pour défendre leurs droits. La police a commencé à nous chercher ; elle disait qu'on créait le désordre en ville, qu'on dérangeait l'ordre public. La nuit du 20 au 21, elle est arrivée chez mon frère et on m'a arrêté . Il y a eu beaucoup d'arrestations».
Sept mois de prison
Le séjour en prison de Bruno va durer un certain temps... Plus de sept mois. « Pendant tout ce temps, j'ai été interrogé de nombreuses fois ; il y avait trois commandants. Ils me demandaient tout le temps la même chose : pourquoi on dérangeait l'ordre public, pourquoi on était contre le gouvernement, pourquoi on n'aimait pas Kabila, poursuit le Congolais. Ils ajoutaient : " vous allez voir ce qu'on va vous faire... "
Puis le temps a passé. Un jour du mois de juin, une personne en interne qui provenait de la même province que la mienne, est arrivée et m'a dit "Je vais t'aider, à condition que tu aies l'argent "; je lui ai répondu que je n'avais pas d'argent mais un minibus Mitsubishi . Il m' alors demandé qui s'occupait du bus ; je lui ai répondu c'était mon frère ; il m'a dit qu'il allait voir... Je suis retourné dans ma cellule ».
C'est en août que le cas de Bruno va à nouveau bouger. « Le contact interne m'a annoncé qu'il allait me faire sortir et que j'allais rester chez lui. Un soir où il devait travailler, il m'a fait monter dans le coffre de sa voiture où je l'ai attendu jusqu'au matin. Quand il a eu terminé son service, nous sommes partis pour sa maison.».
Bus, passeport
Là, Bruno, qui est cloisonné dans une dépendance de l'habitation, fait la connaissance de la femme de son contact, « une dame qui voyage beaucoup ». « Elle m'a demandé l'adresse de mon frère et est entrée en contact avec lui. Elle lui a dit où je me trouvais. Lui n'avait plus eu de mes nouvelles depuis janvier, il croyait que j'étais mort.. » Le frangin vient aussitôt retrouver son frère. Ils discutent aussi « affaires » avec le couple de la maison. Soit le rachat du bus. « Mon frère recevra 600 dollars ; ils lui demanderont de déménager au plus vite ; mais mon frère ne comprenait pas pourquoi on lui demandait ça. Je lui ai dit qu'on allait me chercher chez lui... »
Tout s'est alors mis en place. « Ils m'ont payé des médicaments car j'avais des problèmes de santé, ils m'ont pris aussi en photo pour faire un passeport. Puis un jour de fin octobre, la dame m'a annoncé qu'on partait. Je me suis retrouvé à l'aéroport avec elle, pour monter dans un avion en direction de Bruxelles. Quelques heures plus tard, j'étais arrivé en Belgique ». De l'aéroport, un taxi le conduira à l'Office des étrangers.
La suite, on la connaît. Bruno, qui avoue craindre pour sa sécurité et celle de son contact, est à Belgrade depuis un bon mois. Son rêve ? Faire venir son frère et sa petite sœur, sa seule famille, ses parents étant décédés. Et travailler ici dans une ONG pour aider les gens. « C'est mon métier, j'aime vraiment ça », conclut Bruno.
Le 31 décembre, au centre des réfugiés de Belgrade, c'était fête. Avec quelques groupes locaux qui ont fait monter le son.
Un 31 décembre est un jour pas comme les autres. Il fait à la fois le bilan d'une année, avec les bagages qui ont parfois pesé, mais dégagent surtout les promesses d'un futur meilleur. Jeudi 31, au centre militaire de Belgrade, plusieurs artistes musiciens sont venus simplement pour jouer de la gratte et dire leur sympathie à ceux qui attendent de savoir comment ils pourront vivre librement dans les saisons qui viennent. Dans un autre coin de ce hall, on pratique un jeu de balle.
Le Namurois Philippe Thinant, grand acteur du monde syndical et ardent défenseur de la justice sociale, s'est impliqué dans le comité. Il raconte ce qui s'est passé le soir de la Saint-Sylvestre. « On n'en fait pas un feu d'artifice, mais c'est la fête jusque 22 h. Avec plusieurs groupes qui travaillent sur des thématiques autour de l'exil. Sur le fait de se retrouver loin de chez soi. »
Solide
L'homme, dans son discours, souligne comment il a personnellement continué la marche. La grande marche. « Nous sommes en route avec ces demandeurs d'asile qui eux-mêmes sont le chemin d'un meilleur futur. C'est une croisée de chemins familiaux. Ceux qui diraient que nous sommes gourmands se trompent : c'est nous qui recevons de ces gens qui ont tant à offrir. Si nous sommes à leur côté, c'est pour cela. »
L'ancien syndicaliste se fait presque philosophe de la solidarité quand il explique comment le mot a dans son étymologie le terme solide : le fondamental de la résistance.
Celle-ci passe par le mental, mais aussi par le physique. A Belgrade, ce soir, un buffet est proposé. « Il n'est plantureux mais il est varié. Et après le repas, ce sera à nouveau la musique qui s'invite. Avec un porte-parole qui s'est désigné dans chacune des communautés et qui viendra dire quelques mots. » Malgré des horizons divers, Irakiens, Syriens, Africains feront part de frères pour dire que le lendemain doit être meilleur pour chacun.
Et ce discours est aussi tenu par le directeur du centre, François Romedenne. Qui indique que la promiscuité est parfois difficile, mais qu'elle n'a engendré aucun incident majeur à ce jour. « Nous avons 430 places de transit, et 70 places structurelles, pour les personnes qui restent plus longtemps.» Tous, hier, étaient à la fête.
Brigitte Castin fait partie du collectif qui accompagne les réfugiés. Pour elle, ce n'est pas une première.
Le 14 septembre, elle est allée à l'école Albert Jacquard, pour participer à cette réunion pour tous les citoyens qui souhaitaient écouter et éventuellement s'impliquer dans l'accompagnement des réfugiés attendus sur Belgrade. « Je voulais être informée. Le comité avait besoin de renforts. J'ai rejoint. Le temps libre, je ne l'ai pas forcément, mais je l'ai trouvé. Je vois désormais plein de choses autrement. » Brigitte Castin a accueilli un Syrien dans son chez elle, « et il est devenu un ami de la famille ».
Espérant que chacun puisse sortir de ce dédale administratif, « en sachant que nous sommes là pour les accompagner. Le fait que des gens soient là aux côtés de la Croix-Rouge pour sourire et dire bienvenue, c'est déjà une belle chose. » Brigitte a hébergé un jeune Rwandais pendant un mois et demi. La famille jamboise est ouverte au monde, ouverte aux rencontres. Elle se souvient de ce locataire. « Il descendait l'escalier en chantant, avec tout ce qu'il a vécu, alors que nous, nous pouvons pester pour une bêtise. » C'est peut-être ce genre d'événements, simples, qui créent les citoyens.
Il est Irakien d'origine, il s'appelle Usama. Son rêve depuis toujours : devenir photographe de presse.
Papa est allé chercher de l'argent, mais il n'est jamais rentré. Usama Assad Rasheed se souvient de cette jeunesse à Bagdad, et de la disparition de celui qui était son référent masculin. Plus jamais aucune nouvelle. Dans la voix de l'interprète qui nous transmet les mots de Usama, on apprend que le corps du père n'a jamais été retrouvé. Juste un certificat qui indique le décès. Pas de trace physique. Pas de tombe officielle.
Nous sommes à Bagdad, dans une ville où ce jeune homme né en 1993 est confronté à la guerre. Les déflagrations. Les armes. Et un corps qui souffre, un physique qui se plaint. « J'avais une déviation de la colonne vertébrale, qui provoquait un manque de croissance. J'ai aussi souffert d'asthme. »
Sans ses deux sœurs
Usama décide de faire le voyage vers un ailleurs meilleur. Il laisse derrière lui sa maman et ses deux sœurs, désireux de tracer la route vers l'Europe avant de les rappeler à lui. Explorateur d'une nouvelle humanité. Il nous raconte avec beaucoup de pudeur comment il espère tracer la route pour sa famille, dès lors que la Belgique l'acceptera comme résident. Faire la route pour que sa famille ait plus facile à faire le chemin.
Sa narration est digne, mais des signes montrent la douleur. Sa mère, ses deux sœurs, qui ont suivi son parcours depuis Bagdad, ont été immobilisées en Allemagne. Elles y sont toujours, jusqu'à ce que sa situation soit régularisée sur le territoire belge. Des personnes qui lui manquent. Et un deuil irréversible : sa petite amie a perdu la vie dans un bombardement sur Badgdad. Il en parle avec des larmes dans les yeux.
La Belgique était une destination qui semblait sécure sinon confortable. C'est en fonction de cette image, subjective mais pleine d'espoir, que Usama a poussé la porte du centre de réfugiés de Belgrade. Il y vit en transit, pour tenter sa chance. Parce que, dit-il, « entre moi et la mort, il n'y a qu'un cheveu. »
Solitaires solidaires
L'homme est amoureux de photo. Il voudrait devenir journaliste de l'image. Pour cela, il le sait, il va devoir suivre des cours de langues. « Le français et le flamand », nous dit-il en riant mais dans un français déjà bien installé : les prémisses du dialogue en direct sont là. La main sur le cœur, il fait ce geste de dire que peut-être, un jour, nous pourrions être collègues. Confrères.
Dans le camp, pendant que nous le rencontrons, il est interpellé régulièrement : Usama a visiblement tissé des liens précieux avec d'autres expatriés. Dans l'exil, les solitaires se font solidaires. Et l'exilé qu'il est veut lancer des cris d'encouragement vers son Irak natal et le peuple qu'il a quitté. « Ne pas baisser les bras. Tentez votre chance, s'il en reste. Moi, je joue aux dés. Je peux mourir dans l'année. Mais cela vaut la peine. »
Le message est envoyé.
Il a quitté Bagdad. Il a fallu prendre un bateau pour traverser vers cette Europe qu'il voyait comme un Éden. Ce trajet n'aura pas été une version de La Croisière s'amuse. Sur un pneumatique accueillant plus de passagers que de raison, il est tombé à l'eau. Lui que ne sait pas nager a vu le pire. Mais il a été récupéré.
Destination la Hongrie, où il a fallu ramper sous les barbelés des frontières d'une Europe qui se ferme. Puis l'Allemagne. Tout cela à pied. L'exode a été aussi long que coûteux sur le plan physique. Et enfin la Belgique. Usama récupère, en ce moment.
On a vu jeudi 31 décembre de belles images, de réfugiés mélangés de part leurs origines, mais qui font fête commune pour célébrer un avenir meilleur. Dans les halls militaires de Belgrade, où 500 personnes sont aujourd'hui rassemblées, Irakiens, Israéliens, Africains se sont retrouvés tous ensemble pour penser à une année meilleure.
À presque 30 ans, Karo a choisi de quitter son Kurdistan natal pour redémarrer une nouvelle vie… qui, il l'espère, commencera chez nous.
Dans l'actualité internationale au Proche-Orient, les projecteurs sont essentiellement braqués sur la Syrie, l'Afghanistan, l'Irak ou encore le conflit israélo-palestinien. Un peu moins sur ce qu'il se passe chez le voisin iranien. L'Iran est même devenu l'une des destinations à la mode pour les voyageurs en quête d'exotisme. De quoi booster quelque peu l'économie locale, en berne, en raison notamment des mesures de sanctions internationales dans les matières nucléaires et pétrolières.
Dans la région, l'Iran reste également le principal soutien au régime syrien de Bachar El-Assad. De quoi donner des envies d'ailleurs aux citoyens. Notamment ceux issus de la minorité kurde qui peuple le pays. Ils sont une dizaine de millions en Iran, ce qui représente environ 13 % de la population totale du pays. Opprimés bien que l'état reconnaisse leur culture et leur langue, ils n'ont aucune autonomie politique et administrative.
Karo, 29 ans, en a tout simplement eu assez de cette situation. Ce jeune iranien a quitté les montagnes de la province de Kordestan dernier.
« J'étais seul, sans famille, sans diplôme. Il n'y a rien qui me retenait là-bas. J'ai donc rejoint la Turquie, sauté dans un bateau et je me suis enfui », explique-t-il.
À bientôt trente ans, Karo n'a qu'un seul objectif : changer de vie en Europe… et c'est au centre de Belgrade qu'il pose les premiers jalons de sa première existence. « Je suis ici depuis 16 jours et ça se passe à la perfection. J'aimerais beaucoup rester… confie-t-il, avant d'ajouter : Si les autorités belges me le permettent. »
Karo a d'ores et déjà mis tout en œuvre pour s'intégrer. « Je ne parle ni l'anglais, ni le français. Mais ici, à Namur, j'ai l'occasion de suivre des cours. Je suis conscient que la langue est la première chose à maîtriser pour m'ouvrir de nouvelles portes. »
Ce ne sont pas de grandes ambitions qui nourrissent le quotidien du jeune Kurde à Namur mais bien les choses essentielles de la vie. « Je veux avoir une maison, fonder une famille et être tout simplement heureux. » En attendant, Karo profite du temps qui passe à Namur malgré son sort chez nous qui reste incertain.
« Je reste connecté à Internet. J'essaye de sortir de ses murs un petit peu tous les jours. Ce qui me plairait, c'est de pouvoir repratiquer mon sport de prédilection, le water-polo », envisage déjà Karo. Qui sait, la Belgique n'étant pas réputée pour ses renards des piscines, il y a peut-être là une brèche dans laquelle s'engouffrer. « Mais chaque chose en son temps », renchérit le jeune homme, qui sait quelles sont ses priorités.
Le périple qu'a entrepris Karo pour gagner la Belgique est similaire à celui de beaucoup de migrants accueillis au centre de Belgrade. Il a d'abord sauté la frontière qui sépare l'Iran de la Turquie, où il a erré durant près de deux mois dans l'attente d'un bateau pour gagner la côte grecque.
« C'était vraiment difficile. Sur le bateau, il y avait tellement de monde… J'ai d'ailleurs fait des photos que je ne compte pas effacer de mon portable de sitôt », se souvient-il. Après avoir sillonné l'Europe, il a échoué à Bruxelles où il est resté un mois, avant de trouver un semblant de stabilité à Namur.
Après plusieurs jours passés sur le sol namurois, Karo reconnaît qu'il n'a pas encore vraiment pris le temps de s'aventurer dans la capitale wallonne. Mais dès qu'il peut, il s'octroie une sortie hors du centre. Une manière de se ressourcer et de reprendre contact avec la nature.
Une nature omniprésente dans la région d'où il vient, la montagneuse province de Kordestan en Iran. Une province réputée comme étant météorologiquement exigeante. À l'inverse de certains de ses camarades, la douceur du mois de décembre belge ne freine en rien les envies de balades de Karo.
Ismaïl est en Belgique depuis 1 mois. Il a quitté l'Irak pour fuir Daech mais aussi les milices chiites. Portrait d'un homme coincé entre deux feux.
La poignée de main est franche mais le regard d'Ismaïl laisse transparaître une certaine inquiétude.
Sa timidité et sa maîtrise approximative de l'anglais provoquent chez le jeune homme une certaine appréhension, vite dissipée dès la conversation entamée.
Originaire de Mossoul, deuxième plus grande ville d'Irak aujourd'hui aux mains de l'État Islamique, Ismaïl a été contraint de fuir sa ville après avoir lutté pendant des mois contre l'organisation djihadiste. « Ce n'était plus possible de vivre à Mossoul, l'État Islamique avait pris trop d'ampleur et étant soldat, je faisais partie de leurs cibles principales », explique-t-il en faisant défiler sur son iPhone des photos de lui en treillis militaire durant la campagne contre Daech.
À peine arrivé à Bagdad, la capitale, la situation ne s'améliore pas. Musulman sunnite, Ismaïl s'y retrouve sous la menace de milices chiites. « Ces milices et Daech sont deux groupes ennemis. Mais moi qui suis à la fois soldat et sunnite, j'étais leur cible à tous les deux. J'ai donc été obligé de quitter mon pays pour avoir une chance de survivre. »
Exil
Avec ses parents et ses frères et sœurs, Ismaïl rejoint Eskisehir, en Turquie. Il y restera un an avant de prendre le large vers l'Europe, seul. Comme des milliers d'autres avant lui, il traverse la mer Égée en bateau. Périlleux périple qu'Ismaïl ne regrette absolument pas.
« Traverser la mer Égée était le moment le plus dangereux de mon voyage, mais rester en Irak l'était encore plus. »
S'ensuit alors une traversée express de l'Europe : en 10 jours, Ismaïl parcourt 7 pays différents avant d'arriver en Belgique, à Belgrade. « Un ami m'avait conseillé de venir en Belgique et il a bien fait. Je suis très heureux d'être ici, la vie est vraiment plus agréable qu'en Irak ou en Turquie. »
Présence provisoire
Au centre de Belgrade, plus de 460 réfugiés patientent avant d'être relogés dans un autre centre en Belgique.
En attendant, comme beaucoup d'entre eux, Ismaïl passe le plus clair de son temps sur Internet pour rester en contact avec sa famille, éparpillée à travers le monde. « Mes parents sont en Turquie avec deux de mes frères et sœurs. Deux autres d'entre eux sont aux États-Unis et trois sont restés en Irak. Moi je me sens bien en Belgique, et si j'en ai la possibilité, j'y resterai avec plaisir » sourit-il.
En attendant, le jeune homme de 28 ans a dû une nouvelle fois plier bagage pour rejoindre le domaine de Mambaye en province de Liège. Déplacement plutôt anecdotique pour Ismaïl qui a déjà parcouru plus de 5 000 kilomètres depuis son départ de Mossoul.
Un trajet parcouru majoritairement en solitaire car contrairement à beaucoup d'autres réfugiés, Ismaïl n'a ni femme ni enfant. « I'm free, man ! » clame-t-il en riant bruyamment.
Dans le camp de réfugiés de Belgrade, il n'est pas toujours facile de s'occuper. Ismaïl aime à se promener dans les rues de Namur, qu'il rejoint régulièrement à pied ou en bus.
Une habitude qui a pris fin car, depuis, Ismaïl a rejoint le centre de réfugiés de Mambaye. « J'ai beaucoup de chance d'être ici. J'aime Namur, j'aurais voulu y rester mais j'aimerai aussi Liège. Ce sera de toute façon mieux que de vivre en Irak ou en Turquie », ponctuait-il avant son transfert.
Rencontre avec Thaer, un Palestinien plus trop à l'aise dans ses baskets, sur la bande de Gaza.
Haute stature et silhouette élancée, Thaer a toutes les allures du sportif. « Je jouais beaucoup au basket à Gaza. Si des clubs de la région sont intéressés, faut me tester ! », s'amuse ce grand calme venu de Palestine, il y a quelques semaines.
Mais Thaer n'a pas le goût du ballon, ces derniers temps. « La journée, je passe pas mal de temps, assis sur mon lit. Il n'y a pas grand-chose à faire et c'est dur à vivre quand on est loin des siens. »
Les siens, ce sont son épouse et Zianab et Mohamed, ses jumeaux de neuf ans restés à Gaza. « Je tente d'avoir des nouvelles tous les jours mais ce n'est pas toujours évident. En Palestine, il y a souvent des problèmes sur le réseau d'électricité. On peut connaître régulièrement des coupures de douze heures. Alors, il faut trouver le bon moment pour se contacter. Mais ici, récemment, on est resté neuf jours sans pouvoir être en contact. C'est très long, c'est très dur. »
Thaer souffre d'être éloigné des siens. Pas de son pays. « A Gaza, je suis businessman depuis l'âge de 15 ans », dit-il en retrouvant le sourire. « Je tiens mon commerce où je vends notamment des peluches, des petites poupées et des jouets pour les enfants. » Thaer est fier de ce dynamisme économique, de ce côté « self-made-man ». « J'ai aussi suivi quatre années de cours à l'université. » Son anglais est parfait et ce trentenaire posé démontre plus souvent qu'à son tour qu'il est tout sauf un idiot.
Alors pourquoi quitter la région de ses ancêtres ? « Il y a quelques années, j'ai commencé à avoir des problèmes avec les gars du Hamas. » Pas vraiment des soucis liés à des prises de positions politiques ou religieuses. Non, les frictions étaient bien plus « terre à terre ». « Ils passaient très régulièrement devant mon petit commerce , dénonce Thaer. Tous les jours, ils me demandaient un peu d'argent. » Mais les montants réclamés ont gonflé progressivement. « On parlait à la fin de 100 à 200 dollars. »
Thaer n'a plus accepté cette pression de plus en plus insoutenable. C'est du racket et rien d'autre et le businessman de Gaza a décidé un jour de dire non. « Et depuis lors, j'ai de sérieux soucis avec toutes ces personnes. »
Thaer explique comment on lui demandait, de temps à autre, de fermer son commerce. Sans autre forme d'explication. Il y a eu aussi les menaces de mise en prison.
Le jeune homme a des amis en Europe et il s'est dit que c'était peut-être le moment, pour lui et sa famille, de tenter sa chance dans des régions plus sereines.
« J'ai effectué plusieurs fois des demandes de visa mais chaque fois, j'ai été refusé. J'avais visiblement été placé sur la liste noire. » Les pressions s'accentuent. Thaer doit même se cacher par moments.
À la fin de l'automne, il parvient cependant à se créer une brèche. « J'ai obtenu un visa de 24 heures pour quitter Israël. J'ai pris la direction de la Jordanie mais rien que les contrôles pour passer la frontière m'ont déjà pris douze heures. » Il en restait douze pour trouver un vol vers l'Europe. « C'est ainsi que j'ai abouti en Allemagne mais mon envie était de venir en Belgique. » Et pas spécialement pour l'attrait du moules-frites.
« J'ai des amis qui tiennent déjà des petits commerces dans la région bruxelloise. Je souhaiterais aussi m'installer et relancer un commerce. Tout simplement comme je faisais à Gaza. » Avec l'envie aussi irrépressible que compréhensible de faire venir son épouse et ses deux petits enfants. « Mais pour l'instant, c'est l'attente. J'ai déjà passé plusieurs interviews à Liège. C'est très dur de ne pas être fixé sur mon sort. J'aurais aussi envie de rejouer dans un club de basket, de faire du sport. Mais quand vous êtes dans le doute, ce n'est facile de se relancer. »
Suite à une ultime entrevue avec les responsables de l'immigration, Thaer devait savoir si son chemin continuait par la Belgique ou reprendrait la direction de l'Allemagne. « Mais j'aimerais tant rester ici. » A l'heure de boucler ces lignes, nous avons appris que le séjour de Thaer était prolongé d'un mois dans l'attente d'un dernier entretient.
Une inconfortable incertitude avec laquelle Thaer vit depuis tellement longtemps, mais qu'il peut légèrement apaiser sur le parquet du club de basket de Belgrade, qui l'a désormais accueilli pour les entraînements.
Il y a bien évidemment beaucoup d'angoisses, du mal du pays mais aussi des tensions sur le site d'accueil des réfugiés géré par la Croix-Rouge à Belgrade. Mais il y a aussi de belles aventures humaines qui se tissent. Entre migrants mais aussi avec le collectif « Citoyens solidaires » qui donne un supplément d'âme à l'accueil logistique assuré au jour le jour.
Et tout indique que l'effort réalisé devra s'inscrire dans le long terme. Un training ou un cours de français, une paire de baskets ou un petit concert improvisé : les besoins sont variés. Et si cette belle aventure humaine vous tente, le premier contact se fait rapidement via la page Facebook « Collectif citoyens solidaires Namur ». La meilleure porte d'entrée pour ceux qui ont l'envie de faire quelque chose.