Vernon Subutex: ce qui subsiste, ce qui change
La trilogie déjà culte de Virginie Despentes déboule en série sur Be tv ce jeudi. Peur de découvrir les premiers épisodes? Faut pas. On vous dit pourquoi. Car on en a vu trois.
Publié le 02-05-2019 à 06h00
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/2276F45HSFANLJD55Y5NQX5MAQ.jpg)
De janvier 2015 au printemps 2017, Vernon Subutex, disquaire rattrapé par la dématérialisation de la musique et qui, après avoir été jeté à la rue par ses créanciers, passera de SDF à gourou en passant par la case DJ, est entré dans la vie de plusieurs milliers de lecteurs, à la faveur d’une trilogie littéraire signée Virginie Despentes.
Ce jeudi, son destin peu commun connaîtra un prolongement étonnant avec la diffusion des trois premiers épisodes (sur neuf) de son adaptation au format télé, sous forme de série. Trois épisodes que nous avons eu l’occasion de découvrir en amont, afin de vérifier si, oui ou non, l’esprit de l’œuvre a été respecté par Cathy Verney, la réalisatrice. Et si Romain Duris fait un Vernon convaincant aux yeux des lecteurs jadis conquis. Bilan.
Ce qui subsiste
1. L’esprit
Bien sûr, le constat demande confirmation. Mais pour le reste, les spectateurs devront bien admettre que les thèmes développés par Virginie Despentes dans ses livres sont toujours au programme: la nostalgie d’une époque révolue, les illusions perdues, une certaine critique de la société moderne, aussi. Bien sûr, la verve pinçante (pour dire soft) de la romancière française a été quelque peu adoucie, et ne peut d’ailleurs être totalement contenue dans neuf fois trente-cinq minutes. Mais on retrouve sans peine l’esprit de cette œuvre magistrale aux allures de psychanalyse collective.
2. La musique
Par la nature de son héros, les livres de Virginie Despentes sont éminemment musicaux. Nombreux sont sans doute les fans à avoir d'ailleurs complété leurs playlists après leur lecture. La série ne pouvait, bien sûr, pas faire l'impasse sur cet aspect du récit. Mieux: grâce à un médium forcément plus adapté, où le son vient s'ajouter à l'image, la série compense avec une B.O. d'enfer ce qu'elle perd par ailleurs en verve et poésie. Rien que sur les trois premiers épisodes, on y retrouve des artistes aussi divers et géniaux qu'Alex Cameron, Karen Dalton (un pur moment de suspension que son Something on your mind), Éric Wreckless, Poni Hoax, Cigarettes after sex, Mink Deville, Sonic Youth, Janis Joplin ou Devo. Autant dire qu'on en prend (aussi) plein les oreilles.
3. Les personnages
Derrière Subutex se cache, dans la trilogie de Virginie Despentes, une kyrielle de personnages secondaires tous plus savoureux les uns que les autres: la rock star suicidaire, l’ex-rebelle entretenu par une baronne autoritaire (merveilleux Philippe Rebot), une ex-punkette devenue… fonctionnaire et asociale, le producteur égotique; on en passe et des meilleurs. Or, tous semblent bel et bien au rendez-vous, et parfaitement incarnés par des acteurs bien castés, à commencer par une Céline Sallette méconnaissable dans le rôle d’une détective lesbienne et musclée (la fameuse «Hyène»), et la chanteuse Fishbach, dont ce sont les débuts (réussis) en tant qu’actrice.
Ce qui change
1. Les personnages
Si la plupart d’entre eux sont parfaitement tenus par leurs interprètes, la difficulté reste, pour le lecteur encore ébloui par les livres, de réussir la transition entre l’image mentale qu’il s’était faite des personnages et le visage qu’ils prennent aujourd’hui dans la série. En première ligne: Romain Duris, bien entendu, appelé à camper Subutex. Un héros «christique» qu’il s’approprie avec une grâce surprenante, pour rapidement disparaître derrière lui. On n’aurait pu choisir meilleur candidat.
2. Le scénario
Une série télé n’est pas un livre. Et quelques arrangements avec l’œuvre originale et les événements qui l’ordonnent ont bien sûr été nécessaires. Mais rien, vraiment, de rédhibitoire, ni de nature à gâcher votre plaisir. Qu’on souhaite pareil au nôtre, tant on est heureux de retrouver, déjà, notre Vernon.
Be 1, 20.30