Fatoumata Diawara: "Je dois être une messagère pour le peu de temps que je vais passer dans ce monde"

Pour son 3e album "London Ko", Fatoumata Diawara voyage entre Bamako et Londres, avec la complicité de Damon Albarn. Un disque où elle chante ses combats avec de belles rencontres.

Interview : Marc Uytterhaeghe
Fatoumata Diawara veut être la figure féminine "de cette magnifique Afrique".
Fatoumata Diawara veut être la figure féminine "de cette magnifique Afrique".

Figure de la musique africaine, c’est à un véritable tour du monde musical que nous convie la Malienne Fatoumata Diawara sur son 3e opus, Londo Ko (contraction de London Bamako). Pourquoi Londres ? Parce qu’elle a travaillé avec Damon Albarn (Blur, Gorillaz). Une collaboration qui s’entend dès le morceau d’ouverture Nsera ( Destination en langue bambara), mis en clip de belle manière par Grégory Orhel.

Mais cette collaboration, qui s’étend sur six morceaux, n’est pas la seule. Au détour de la tracklist, on croise l’Américaine Angie Stone, Mathieu Chedid, le rappeur ghanéen M. anifest, le pianiste cubain Roberto Fonseca ou encore la Nigériane Yemi Alade. De quoi apporter autant de couleurs (afrobeat, jazz, pop, électro, ou encore hip-hop) à un disque sur lequel elle continue de bousculer les codes, avec des textes tranchants sur des musiques dansantes.

Fatoumata, c’est Damon Albarn qui vous a demandé de travailler avec vous ou bien c’est vous qui avez fait appel à lui ?

C’est un peu les deux… En fait, Damon m’a félicité pour ma voix dans l’opéra Le vol du boli au théâtre du Châtelet à Paris. C’est un projet sur lequel il travaillait depuis trois ans. Il voulait que je sois le lien entre le Mali et l’occident. Après, il m’a proposé de réaliser mon album, mais je n’étais pas encore prête, car je ne fais pas des albums tous les deux ans… Puis on est quand même allés au studio, je lui ai fait écouter ce que j’avais et il m’a dit qu’il avait des idées. On est parti sur Nsera et ensuite, on a continué sur cinq autres morceaux. L’envie était mutuelle. Et notre relation est devenue une fraternité.

Il amène quoi à votre musique ?

Une sonorité propre à lui. C’est assez flagrant sur Nsera. Il utilise le synthé de manière moins traditionnelle qu’habituellement dans la musique africaine. C’est ça qui est intéressant.

Le clip de "Nsera" (voir ci-dessus) s’ouvre sur ce jeune enfant soldat qui finalement jette son uniforme, son fusil et va rejoindre sa maman…

C’est un message très important pour moi. Nous ne sommes pas beaucoup de femmes africaines à être reconnue à l’international. Donc c’est mon devoir d’être la voix des enfants et des femmes et de ce continent dans sa diversité. Parler des enfants-soldats rentre dans ce cadre-là. Je veux être la figure féminine de cette magnifique Afrique. C’est une grosse responsabilité. Je chante avec mon Afrique sur mon dos, avec dignité. Et je veux toucher à tous les sujets comme les enfants-soldats, l’excision (NDLR: sur la chanson Sete), l’émancipation de la femme (NDLR: sur Moussoya)… Je dois être une messagère pour le peu de temps que je vais passer dans ce monde.

Vous chantez l’Afrique mais vos musiques sont très occidentalisées…

Elles sont en lien avec le Mali et l’Occident. Je ne vis plus au Mali depuis 25 ans. Mais je suis une enfant de là-bas. C’est pour ça que je ne chante qu’en bambara, même si tout le monde me demande de chanter en anglais. Mais je veux garder le lien entre moi et mes ancêtres. Si on m’applaudit, c’est parce que j’ai tout un bagage ancestral derrière. Je ne vais pas l’abandonner.

Sur "Tolon", vous chantez avec la Nigériane Yemi Alade…

Elle fait partie de la nouvelle génération qui chante en anglais. Derrirère cette chanson, il y a le message de dire aux Africains qu’il faudrait qu’on apprenne à se connaître. Il faut plus de connexions entre les Africains. Je dois être capable d’aller en vacances au Nigéria, au lieu d’aller à New York ou au Japon (rires). Nous Africains, nous ne connaissons pas notre Afrique. Moi, je ne connais pas les pays voisins. Je ne pourrais rien vous dire sur la Guinée qui n’est qu’à une heure de vol du Mali, par exemple. Or, nous avons tout à apprendre de nous-mêmes. L’Afrique est belle et a de belles choses à donner. Toutes les guerres ralentissent le développement. Qu’on laisse ce continent respirer ! Le jour où l’on aura plus de joie sur ce continent, il va se transformer. L’Afrique a besoin d’amour. C’est comme un enfant qui doit être materné.

On retrouve également la participation du rappeur ghanéen M. anifest sur "Mogokan". C’est pour les mêmes raisons ?

M. anifest, je l’ai rencontré grâce à Damon Albarn au travers de son projet Africa Express. On a été choisis pour travailler sur un album que Damon a réalisé après une tournée en 2012 avec Erykah Badu, Flea des Red Hot Chili Peppers, Hypnotic Brass… Cela s’appelait Rocket Juice & The Moon. J’ai adoré travailler avec lui. Il groove ! Le monde doit le connaître.

De quoi parle ce titre ?

C’est une chanson sur la subtilité des relations humaines. En Europe les gens sont très "nombrilistes", centrés sur leur travail, et ils n’ont pas le temps de développer des liens. En Afrique, par contre, il y a tellement de temps que parfois, cela suscite des problèmes car tout le monde se mêle des affaires des autres. Il faut trouver l’équilibre. C’est bien de partager car on ne peut pas tout savoir, mais il faut faire attention.

Il y a encore d’autres collaborations: -M-, le pianiste cubain Roberto Fonseca, Angie Stone…

C’est un album où j’ai voulu rassembler mes expériences. Roberto, Il a une virtuosité impressionnante. j’ai fait un album jazz avec lui, après avoir été sur scène. -M-, on a collaboré sur Lamomali et on a tourné pendant deux ou trois ans ensemble… Mon pays n’a pas la chance de me voir dans tous ces projets, donc ce disque est une sorte de bilan pour leur montrer comment j’adapte notre patrimoine avec toutes ses influences.

Votre tournée passe bientôt par la Belgique. Il faut s’attendre à quoi ?

Ça sera magnifique ! Vous allez dire que je ne suis pas modeste (rires). J’aborde des thèmes très importants dans mes chansons, mais sur scène il y a de la joie. Au lieu de pleurer et de me plaindre des situations que je trouve injustes, je les chante en apportant de la lumière et de l’espoir. L’Afrique n’est pas à plaindre: elle doit juste parler de ses problèmes et faire face pour trouver des solutions. Pour revenir à votre question, je vais faire une introduction de mes chansons sur scène, mais j’aime aussi l’idée que les gens écoutent l’album en cuisinant ou avant d’aller se coucher, sans spécialement savoir la signification de mes textes. Et puis sur scène, ce sera très rock. Je joue de la guitare électrique, je fais des solos… C’est très punk ! C’est très différent du disque, c’est pour ça que l’on tourne énormément. Je veux que l’amour et les bonnes vibrations dominent.

Fatoumata Diawara, London Ko, Wagram Music. En concert le 31/05 à l’Ancienne Belgique (complet) ; le 07/07 au Festival La Semo à Enghien.

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