Sur "Les cent prochaines années", Albin de la Simone a retrouvé les mots

En panne de paroles sur son précédent album, Albin de la Simone a retrouvé l’inspiration en forêt. Toujours délicat, "Les cent prochaines années" est son album le plus frontal.

Interview : Marc Uytterhaeghe
 Albin de la Simone a confié la réalisation à quelqu’un d’autre. "J’avais l’impression d’avoir toujours les mêmes idées."
Albin de la Simone a confié la réalisation à quelqu’un d’autre. "J’avais l’impression d’avoir toujours les mêmes idées." ©Julien Mignot

Bonne nouvelle pour les amateurs de chanson française: Albin Simone a retrouvé les mots. Après un disque instrumental baptisé Happy end en 2021, voici Les cent prochaines années, disque pour lequel il a confié pour la première fois les clés à quelqu’un d’autre pour la réalisation.

Sur ce septième album, il ose écrire de manière plus frontale, dans des textes toujours délicats qui évoquent le début (Les cent prochaines années, M erveille) ou la fin ( J’embrasse plus, Pars) d’une relation amoureuse, les remarques des parents à un ado rebelle ( Ta mère et moi) ou même l’avortement ( Mireille 1972). Rencontre avec ce digne héritier de Souchon.

Albin, pour le précédent album, vous étiez en panne de mots. Comment l’inspiration est-elle revenue ?

Cette panne d’inspiration était liée au Covid mais aussi au fait que c’est de plus en plus difficile d’écrire. C’est peut-être aussi dû au fait que je deviens plus exigeant avec l’âge (sourire). J’étais à sec pour les paroles, mais pas pour la musique. Je me suis rendu compte que beaucoup de ces morceaux instrumentaux étaient des chansons. Je me suis isolé en forêt où j’ai écrit une grande partie des textes de ce nouvel album.

Pour ce nouveau disque, vous avez décidé de confier la réalisation à Ambroise Willaume, alias Sage. Pourquoi ?

Je sentais que je commençais à avoir toujours les mêmes idées. Le disque instrumental que j’ai réalisé en 2021 m’a épanoui. Je pense que ce qui me caractérise surtout, c’est plus l’écriture et la voix, et pas les orchestrations. Donc, autant m’ouvrir à quelqu’un d’autre. J’ai choisi Sage car j’ai remarqué que dans tout ce qu’il fait, il y a un point commun: rien ne se ressemble. C’est une très grande qualité. Cela veut dire qu’il est à l’écoute des artistes avec qui il travaille.

Cet album s’ouvre sur une déclaration d’amour, avec "Les cent prochaines années"…

C’est une façon pour moi de dire "Je veux que ça dure", mais c’est un peu une blague aussi, car ce sera impossible d’aller aussi loin. On s’engage pour cent ans et puis on voit… C’est un acte romantique.

Le temps qui passe est fort présent dans vos textes...

Effectivement. Il y a par exemple la chanson L’avenir, comme le nom de votre journal, mais qui est plus inquiète, où je m’interroge sur ce que ça va donner…

Il y a aussi le diktat de l’éternelle jeunesse que l’on impose aux femmes sur "Pour être belle"…

Dans cette chanson, j’essaye de ne pas porter de jugement. C’est un peu comme si je m’adressais à ma fille, en lui disant qu’elle va devoir se démerder avec tout ça.

Le premier extrait qui est sorti, c’est "Petit petit moi", chanson à la fois sur la petite enfance et sur l’amour que les mamans portent à leurs bébés…

Cette chanson, c’est le point de vue d’un adulte sur une photo de lui bébé. Quand je l’ai écrite, j’avais en tête cette photo de moi avec ma mère, mais je ne la possédais pas. Quand elle me l’a envoyée, je me suis dit que cela ferait une chouette pochette de disque. Pour le clip, j’ai lancé un appel aux gens qui me suivent pour qu’ils m’envoient leurs photos. J’en ai reçu 500 et je n’ai pu en mettre que 300. Je trouve que cela donne quelque chose d’émouvant. Chaque photo que l’on voit, c’est 100% de la vie de quelqu’un.

Vous avez dit "Je ne dois plus me poser d’obstacle à l’idée d’émouvoir". Cette chanson, vous n’auriez pas pu l’écrire avant ?

Non… Ce n’est pas conscient mais on dit que la simplicité, c’est la chose la plus complexe à atteindre. J’arrive enfin, à dire des choses plus frontalement.

Comme dans le triptyque "Merveille", "J’embrasse plus" et "Pars", qui évoque l’évolution d’une relation amoureuse…

On pourrait y ajouter Les cent premières années entre Merveille et J’embrasse plus. Pour moi, ce sont des histoires différentes, mais c’est vrai que cela marche. La première, c’est la rencontre et l’espoir que ça dure, Les cent prochaines années, c’est "Vas-y, c’est super" et J’embrasse plus et Pars sont des chansons de rupture. Mais si on le voit comme ça, j’inverserais l’ordre, en commençant d’abord par la rupture pour ensuite aller vers quelque chose de plus positif.

Autre exemple d’écriture plus frontale, c’est sur le morceau "Ta mère et moi", qui parle des reproches que des parents peuvent faire à un enfant…

J’ai vraiment peur de devenir comme ça (rires). On l’a tous vécu et c’est maladroit. J’essaye d’être compréhensif, mais… C’est la somme des choses qu’il ne faut pas dire à un adolescent. Moi, mon adolescence a dû rendre mes parents complètement zinzin Et ils ont dû dire des trucs comme ça…

Vous faisiez quoi pour les rendre zinzin ?

Un jour, je suis parti à l’école avec la robe de chambre de ma mère. Je m’en étais fait un manteau. C’était quand j’étais étudiant à Saint-Luc, à Tournai. J’imagine qu’ils ont dû se dire: "Qu’est-ce qu’on a fait pour que tu sois comme ça !" (rires). Pour moi, c’était juste une façon de me rebeller, de dire que j’étais différent, je n’en sais rien… Ma fille va rentrer dans l’adolescence et j’espère que je ne serai pas comme les parents dont je parle dans la chanson.

Sur "Mireille 1972", vous abordez la question de l’avortement…

Le musée d’Orsay m’a demandé de m’associer à une future exposition Manet/Degas qui ouvre fin mars. J’ai vu deux tableaux différents de deux femmes seules qui boivent un alcool dans un bar et je me suis dit que c’était sans doute deux femmes qui avaient vécu quelque chose d’extrêmement douloureux, d’illégal et de risqué. C’est ça qui m’a inspiré.

Le retour en arrière qu’opèrent certains États américains dans cette matière, cela vous révolte ?

C’est effrayant. Je pense que quand il y a une avancée dans un domaine, on ne revient pas dessus ensuite. Cela me choque énormément.

Vos deux dernières tournées étaient faites sans sonorisation. Vous allez poursuivre dans cette voie ?

Non. J’ai adoré, mais j’ai envie cette fois que ce soit plus charnu, avec une basse, une batterie. Nous serons quatre sur scène, avec une musicienne qui joue aussi du saxophone baryton.

Albin de la Simone, Les cent prochaines années, Tôt ou tard/Pias. Aux Nuits Botanique le 28 avril 2023.

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...