Juliette Armanet: "J’aime l’idée que mes textes restent mystérieux, qu’il y ait des doubles ou triples sens" (interview)
Sur "Brûler le feu", disque incandescent, Juliette Armanet nous invite à danser. Et confirme son talent.
- Publié le 24-11-2021 à 07h00
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"Brûler le feu": c'est le titre du nouvel album incandescent de Juliette Armanet. Un disque autour de la passion, sous toutes ses formes. Un disque plus libre aussi, où elle se lâche vocalement (notamment sur Le rouge aux joues) sur des musiques disco aux arrangements soignés.
Juliette, après le succès de votre 1er album «Petite amie», avez-vous traversé une période de questionnement, du style «et après, je fais quoi?»
En fait, quand j’ai fini ma tournée, j’étais surtout très enceinte. Donc j’ai d’abord pris le temps d’accueillir mon enfant quand il est né. Par la suite, après avoir pris mes marques, je me suis remise à composer. Et c’est vrai qu’au début, il y a un petit vertige qui s’installe. Mais je crois l’avoir vite dompté, en me disant qu’il fallait être la plus libre possible.
Vous vous êtes isolée?
Oui, je suis allée plusieurs fois en résidence à La Fabrique, à Saint-Rémy de Provence. J’ai pu y trouver de la très belle inspiration et un endroit où j’ai pu travailler jour et nuit, sans aucune contrainte, et c’était assez génial.
Cela donne «Brûler le feu», un album qui transpire la passion, l’amour, avec ses joies et ses ruptures.
C’est vrai. Il y a des morceaux plus solaires que d’autres, comme Le rouge aux joues… et puis des choses un peu plus désespérées (NDLR: Qu’importe, par exemple).
Lors de la tournée, j’avais déjà ma grosse boule disco sur scène. Je ne fais que suivre mon sillon…
On retrouve sur cet album votre goût pour le disco, déjà présent sur le disque précédent sur des morceaux comme «L’Indien» ou «Un samedi soir dans l’histoire».
C’est une musique qui est ancrée en moi. Lors de la tournée, j’avais déjà ma grosse boule disco sur scène. Je ne fais que suivre mon sillon…
Avec une grande envie de danser en plus…
Bien sûr. je crois que le fait d’avoir tous vécu ce moment très difficile du confinement m’a donné l’envie d’avoir une musique physique, qui nous fasse du bien, solaire, énergique.
Pour son album «Cœur», qui explore aussi le disco, Clara Luciani avait raconté qu’elle s’était replongée dans le répertoire d’Abba. Et vous?
Autant pour le 1er album j’avais écouté beaucoup de Michel Berger, autant là je suis allée chercher des influences plus américaines, avec du disco mais aussi un peu de soul… Et puis j’ai eu l’immense chance de travailler avec des artistes de la French Touch, et notamment le producteur SebastiAn, qui a collaboré avec les Daft Punk. Lui aussi est plus nourri de cette «vibe» américaine.
Mes chansons parlent autant de l’état du monde que de la fin d’une histoire ou de la mort d’un proche.
Quand on écoute votre album, on se rend compte qu’il y a pas mal de double sens, que vos chansons peuvent être comprises de différentes manières…
J’aime l’idée que mes textes restent mystérieux, qu’il y ait des doubles ou triples sens. C’est donc très flatteur de me dire ça. Mes chansons parlent autant de l’état du monde que de la fin d’une histoire ou de la mort d’un proche. Moi personnellement, j’adore Bashung justement parce qu’il y a plein de sens possibles. En tant qu’auditrice, j’aime bien qu’on me laisse de la liberté.
Un exemple avec la chanson «Tu me Play». On peut la comprendre comme une vraie déclaration d’amour à quelqu’un, mais aussi la percevoir comme un message à votre public…
C’est une chanson que j’ai écrite sans trop la conscientiser. Après, en relisant les paroles, je me suis dit que c’était une chanson pour le public. Et c’est vrai qu’avec lui, c’est une vraie histoire d’amour.
Peut-on voir dans «Je ne pense qu’à ça» un message à Christophe, disparu l’an dernier et avec qui vous aviez chanté?
C’est possible… Si c’est le cas, ce n’est pas conscient. Ce qui est sûr, c’est qu’il était prévu que l’on fasse un duo sur cet album. Cela n’a pas pu se faire et il m’a manqué épouvantablement. Je pense qu’il a été un peu comme un «fantôme» heureux au-dessus de ce disque et très présent dans mon esprit.
«Le dernier jour du disco», cela évoque le passage entre deux états, la fin d’un monde et le début d’un autre… Mais pour certains, cela fera peut-être référence aussi à la Disco Demolition Night, un événement qui a eu lieu le 12 juillet 1979 où l’on a détruit à la dynamite des milliers de disques disco…
J’ai entendu une émission de radio là-dessus. Et cela s’est mal terminé, si je me souviens bien . Au départ, le disco était une musique pour rassembler sur la piste de danse les personnes de couleur, la communauté gay… Après, cela a été récupéré et cela a fini par agacer… Mais quoi qu’il en soit, le disco n’a pas été enterré ce jour-là. Cette musique reste très inspirante, elle est très riche avec de nombreux instruments. C’est très généreux et c’est ça qui est très attirant.
Je suis très amoureuse de l’album que Lenny Kravitz a fait avec Vanessa Paradis en 1992. Cela a été un album de chevet, qui n’a jamais vieilli pour moi.
Sur le titre «Boum Boum Baby», vous faites un gros clin d’œil à Lenny Kravitz et sa chanson «It Ain’t Over ‘Til It’s Over». Il faisait partie des chanteurs dont vous aviez le poster punaisé au mur durant votre adolescence?
Non, moi c’était plutôt Leonardo Di Caprio (rires) Mais Kravitz, c’est un excellent musicien. Rien que son riff de cordes sur ce titre… Pour «Boum Boum Baby», j’étais à la recherche de cordes à la fois très dansantes et aussi mises en avant comme si elles étaient des chanteuses. J’ai écouté pas mal de trucs, donc ces cordes de Kravitz. Et cela a été une très bonne inspiration. Et c’est aussi un clin d’œil à toute une période de ma vie qui était très heureuse, très joyeuse. Je suis très amoureuse de l’album que Lenny Kravitz a fait avec Vanessa Paradis en 1992. Cela a été un album de chevet, qui n’a jamais vieilli pour moi. C’est donc une forme d’hommage à ça…
Vous avez aussi mis de la soul sur cet album . On en retrouve notamment sur «HB2U» (NDLR: Happy Birthday to You)…
Cette chanson au départ, c’est un cadeau à un ami pour son anniversaire et elle n’était pas vouée à être sur le disque. Mais ces dernières années, je me suis aperçue qu’on me conviait régulièrement pour chanter aux mariages, aux anniversaires, aux enterrements… Nous, chanteurs, avons aussi ce rôle d’accompagner les grands moments de la vie. Et donc finalement, j’ai décidé de conserver la chanson telle quelle sur le disque. J’ai juste refait la voix.
Vous ressuscitez le slow et le quart d’heure américain sur «J’te l’donne»…
Pour moi, c’est un morceau qui fait un clin d’œil aux Ronettes, dans les années 60, ou à des slows à la Presley… L’esthétique «doo wap doo wap» des années 50, dont Rihanna s’est emparée quand elle a fait Love on the Brain. C’était très soul, avec beaucoup de chœurs, des cordes extrêmement riches… et donc très inspirant pour moi.
«Brûler le feu» clôture le disque. C’est une chanson sur la résilience…
Oui, c’est un titre positif, actif, créateur… Le feu, c’est l’emblème de la passion. Ce n’est pas moi qui suis brûlée par le feu, mais c’est moi qui vais le brûler. C’est un feu qui donne de l’énergie et de la chaleur. Et puis j’aime l’idée un peu surréaliste d’un titre qui s’auto-annule: brûler le feu, c’est comme si on jetait une fenêtre par la fenêtre (rires). Il y a quelque chose d’aller à l’extrême du poème. C’est un haïku surréaliste.
Juliette Armanet, «Brûler le feu», Univesal. En concert le 22 février au Cirque Royal à Bruxelles (www.cirque-royal-bruxelles.be).