INTERVIEW | Saule publie «Dare-dare», son 5e album: «J’ai voulu aller un cran au-dessus»
Saule livre ce vendredi un 5e album à l’écriture ciselée et à la voix posée. Un disque de rencontres, avec trois duos (Cali, Faces on TV, Ours) et des chansons en forme d’hymnes à la vie.
Publié le 18-06-2021 à 07h00
Pour ce nouveau disque, Saule s’est remis en question. Et puis, il y a eu un déclic, et une urgence à sortir cet album dare-dare. On y retrouve un Saule tourné vers les autres – il y partage d’ailleurs trois duos – et qui ose (ça tombe bien, to dare veut dire oser) aller dans les graves avec sa voix multiforme. Musicalement, il y a des références au western (Avant qu’il ne soit trop tard), à Cocoon (Regarde autour de toi), à Balthazar (Demande pas la lune), à Bashung (Tu boudes) ou même Johnny Cash (la reprise des Démons de minuit en morceau bonus).
Saule, musicalement, ce 5e album est assez varié…
Oui, je pense qu’il y a quelque chose de plus assumé. Sur les disques précédents, je restais souvent dans un seul style. Ici, la chanson appelle le style. Et puis je pense qu’au niveau vocal, j’ai vraiment plus posé ma voix. J’ai eu de longues discussions avec ma chérie qui me demandait pourquoi je ne chantais pas en voix pleine. Vocalement, j’ai un panel qui me permet plein de choses. Mais sur disque, je joue toujours sur le même registre. Donc cela m’a permis de travailler mes basses sur Dare-dare ou Quand la mer monte. C’était intéressant d’explorer tout ça.
Vous avez aussi soigné l’écriture des textes…
Oui. Attention, ça ne veut pas dire que je n'y accordais pas d'importance avant, mais je trouve que c'était parfois assez inégal. Ici, j'ai vraiment voulu aller un cran au-dessus. J'ai aussi un manager français qui m'a fait rencontrer un producteur français, Michel Boulanger, qui travaille avec les Dutronc, avec Cabrel… et quand il a écouté mes morceaux il y a un an et demi, il m'a dit que je ne devais pas gâcher ce talent d'écriture. Il trouvait que quand j'essayais de faire de la pop-song, je rentrais dans la catégorie des bons élèves appliqués. Par contre, il trouvait que quand je me faisais confiance, j'avais une vraie singularité. Il m'a convaincu d'aller dans ce truc d'écriture que j'avais un peu laissé de côté depuis Dusty Men…
Après quinze ans de carrière, vous auriez pu le prendre mal…
Non, parce que moi, j’apprends encore tous les jours. Ce qui m’a redonné le «kick» pour mon album, c’est ce challenge: assumer cette écriture, assumer ma voix et aussi ma voie…
La culture est essentielle, on ne peut pas s’en passer. Sinon, on vit dans un monde à la Brazil…
Le titre «Dare-dare» indique qu’il y a une urgence…
Oui, il y a une urgence actuelle qui est liée au marasme que l’on a connu.
Cela vous a fait mal que l’on dise que la culture était non-essentielle?
Cela m’a surtout fait gentiment sourire… Ceux qui ont dit ça sont ceux qui, quand ils sortaient de leur conférence de presse, allumaient la radio, écoutaient Spotify, regardaient un film sur Netflix… Je les défie de faire une journée sans tout ça. Combien de temps tiendraient-ils? Donc, la culture est essentielle, on ne peut pas s’en passer. Sinon, on vit dans un monde à la Brazil…
Avec les années, à 43 piges, il y a des choses avec lesquelles il ne faut plus m’emm…
Après avoir chanté « Le bon gros géant » et « Chanteur bio », qui étaient des mini-portraits, vous voilà «Rebelle rêveur»…
Oui! J'aime toujours bien ces chansons identitaires. Dans la liste, il y avait aussi Un type normal. Il y a toujours eu des personnages dans Saule. Ce Rebelle rêveur part d'un test de personnalité très sérieux de coaching que ma compagne avait rempli. J'ai vu le truc traîner sur la table et j'ai répondu à quelques questions… Et les deux profils types auxquels correspondaient mes réponses, c'était rebelle et rêveur. J'ai trouvé l'idée sympa de les associer. Je suis peut-être plus connu pour mon côté rêveur que rebelle en tant que Saule, mais avec les années, à 43 piges, il y a des choses avec lesquelles il ne faut plus m'emm… Avec le temps, j'ai un côté rebelle qui me rend plus aiguisé dans mes choix. Et avec ce que l'on vient de traverser, il faut une forme de rébellion pour défendre sa rêverie.
L’un des fils rouges de l’album, c’est qu’il faut profiter de la vie. C’est un thème évoqué dans «Dare-dare», «Avant qu’il ne soit trop tard», «Regarde autour de toi»… C’est lié à cette période d’isolement?
Complètement. Moi qui étais dans ma bulle d’auteur-compositeur qui voulait refaire son album parce que la routine l’ennuie, et tout à coup on me retire cette routine… Et là, je me suis rendu compte que j’avais une chance incroyable. Cela m’a donc permis de retrouver un sens épicurien.
Il y a aussi quelques morceaux plus sombres, quand vous parlez du couple…
Oui… Les odes à la vie sont arrivées après dans l’écriture. Au départ, le disque était plus mélancolique. Et puis, après ce qui est arrivé, j’ai eu besoin de respiration. J’avais besoin de mettre de la vie, du soleil, de la lumière… Et cela a équilibré le disque.
Je me suis demandé jusqu’où on pouvait aller dans cette torture de se dire «À quoi l’autre pense en ce moment?», alors qu’on est plus avec lui/elle.
Vous faites pour la 1re fois un «talk over» sur le morceau «Je suppose». L’idée est venue comment?
Je suppose, c’est la seule chanson qui a survécu de la 1re version de l’album. Je l’ai écrite dans une version beaucoup plus électro. Et puis, comme on est allé vers un disque plus vintage, ça ne marchait plus du tout. C’est mon ingé son et producteur Nico qui m’a dit d’essayer de faire ce truc parlé. J’ai pris mon dictaphone, je suis allé me balader et j’ai dicté des paroles comme elles me venaient. J’étais dans l’incarnation de ce que peut être une rupture dans les suppositions. Je me suis demandé jusqu’où on pouvait aller dans cette torture de se dire «À quoi l’autre pense en ce moment?», alors qu’on est plus avec lui/elle. En studio, cette chanson nous a procuré une émotion intense.
Vous partagez trois duos sur ce disque. Le premier, c’est avec Cali sur «Avant qu’il ne soit trop tard».
Cali, quand on est en fin de soirée, il me dit toujours «Allez, putain, on meurt demain»… Cela rejoint «Et s’il ne me restait un seul jour» que j’avais écrit pour mon premier album. J’ai eu envie de refaire une chanson comme un cri à la vie. Et j’ai trouvé que le style musical allait très bien avec celui de Cali. On l’a enregistrée en deux jours à l’ICP. Je suis très content car cela va être un prétexte à s’inviter mutuellement sur scène.
Le deuxième, c’est avec Jasper Maekelberg, de Faces on TV, qui est également producteur de Balthazar, sur «Demande pas à la lune»…
À la base, j'ignorais que Jasper était le producteur de Balthazar. J'étais fan du morceau Suspicious, qui se trouve sur son 1er album de Faces on TV. Pour moi, c'était digne d'un groupe comme Radiohead. Comme il est aussi chez Pias, on nous a mis en contact. Je suis arrivé avec un riff de basse, il m'a tendu la guitare, et cinq minutes après, il a ajouté une batterie, des séquences… et j'avais le son de Balthazar! De là, j'ai écrit mon texte et la chanson est née en quatre ou cinq heures. Je suis super-content de ce morceau, il apporte un truc très classe à la Lou Reed. Quant au texte, c'est une battle entre deux angles de vue différents pour une conquête féminine: d'un côté, un prétendant offre du concret et l'autre lui vend du rêve.
Je voyais mal Alain Souchon chanter ‘24 h et des poussières’ dans la peau d’un petit vieux…
La troisième collaboration, c’est avec Ours sur «24 heures et des poussières», qui sonne évidemment très Souchon…
En fait, Ours, je l’avais rencontré à Forest National lors d’un concert de M. Et là, quand j’ai dit à mon manager que je voulais faire un duo sur 24 heures et des poussières, il m’a dit’Pourquoi pas avec l’un des fils Souchon? ‘ On a même évoqué le père. Mais je voyais mal Alain Souchon chanter 24 h et des poussières dans la peau d’un petit vieux…
Sur votre 1er album, vous aviez chanté « Peter Pan ». On peut considérer que 24 h et des poussières, c’est une suite?
C’est l’histoire d’un mec qui a toujours rêvé d’être un éternel enfant qui se demande s’il n’y a pas aussi une beauté à vieillir. Ce n’est donc pas une suite, mais la réponse à cette chanson quinze ans plus tard.
Chanson très émouvante à la fin du disque, c’est «Marta danse», qui parle de cette danseuse atteinte d’Alzheimer et qui retrouve les mouvements quand on lui fait écouter «Le lac des cygnes»…
Tout le monde a vu ces images qui ont fait le tour du monde. Je suis ému aux larmes quand je les vois. Et très vite, j'ai eu besoin d'écrire une chanson pour lui rendre hommage. J'ai aussi eu ça avec les titres Madame pipi, ou le film de Benoît Mariage Cow-boy.
L’album se termine avec un morceau bonus, la reprise des Démons de minuit du groupe Images, façon un peu Johnny Cash…
Quand je l'ai faite, j'ai des potes qui m'ont dit que c'est la première fois qu'ils écoutaient vraiment le texte. On ressent toute la solitude du mec qui a écrit le texte… Je ne suis pas le 1er à faire ça. Julien Doré l'a fait avec Lolita, Miossec avec Ma Gueule et récemment Jim Bauer avec Tata Yoyo à The Voice France. J'ai toujours aimé ce principe de retourner une chanson, changer complètement d'angle… Et puis sur ce morceau, il y a l'intervention incroyable de Ben Edwards, l'harmoniciste de Charlie Winston.
Je me retrouve avec 25 ou 30 dates et ça va faire du bien! (rires) J’ai besoin que mes chansons vivent devant des gens.
La tournée a commencé. Elle va être un peu particulière…
C’est une tournée qui a été créée en réaction au Covid. J’ai été contacté par trois techniciens ingé son qui m’ont contacté en me demandant si je ne voulais pas parrainer leur projet, qui s’appelle Pam est là. Il s’agit d’une caravane qui se déplie et forme une petite scène. J’ai trouvé ça sympa et j’ai proposé de tourner avec cette caravane de ville en ville pendant l’été. Pour certains festivals comme Spa ou LaSemo, je jouerai dans une version normale, mais pour d’autres, je garderai cette version caravane. Je me retrouve avec 25 ou 30 dates et ça va faire du bien! (rires) J’ai besoin que mes chansons vivent devant des gens.
Saule, «Dare-dare», 30 Février./Pias. Concerts et infos sur wwww.sauleofficiel.be. Interview intégrale sur www.lavenir.net/daredare