Ibrahim Maalouf: les «S3ns» de ma musique
Le trompettiste Ibrahim Maalouf explore la musique latine, donnant à ses compositions une couleur joyeuse tout en offrant aussi un terrain de réflexion.
Publié le 02-12-2019 à 07h26
Vous aviez déjà collaboré avec des musiciens latins, mais cette fois vous leur consacrez un album complet.
Je vis avec la culture latine depuis toujours: une partie de ma famille vit au Chili, une autre à Cuba. Je travaille aussi depuis longtemps avec des artistes sud-américains comme Angel Parra aujourd’hui disparu, avec la chanteuse mexicaine Lhasa de Sela, qui m’a poussé à faire mon premier album il y a 17 ans. Même si j’avais déjà fait quelques incursions dans la musique sud-américaine, je ne l’avais jamais fait avec l’idée d’aller aussi loin.
Trois grands pianistes cubains participent à l’album.
Oui, Roberto Fonseca, Harold Lopez-Nussa et Alfredo Rodriguez que j’ai rencontré par Quincy Jones. L’école cubaine de piano vient des professeurs russes qui forts de leur patrimoine classique, ont enseigné, et les jeunes cubains ont mêlé cet apprentissage technique très dur avec leur culture.
Vous êtes toujours fidèle à vos musiciens belges.
Ils sont eux aussi extraordinaires: Éric Legnini, François Delporte, Stéphane Galland. J’ai déjà fait entre six et huit albums avec eux, ce sont des musiciens que j’adore.
Pouvez-vous expliquer le titre de ce nouvel album?
Il y a le mot «sens» avec le 3 car le mot a trois entrées indépendantes: la signification, la direction, et les cinq sens. Je considère que les trois sont indissociables. En fonction de nos cinq sens, on ne perçoit pas les choses de la même manière, on ne prend pas les mêmes directions…
Et le rapport avec la musique cubaine?
Il n’y a pas forcément un rapport avec le style musical. Dans la musique, il y a la forme et il y a le fond. On raconte des choses avec la musique. On est à la fois investi dans la composition, la technique musicale et ce qu’on veut lui faire dire. Dans le livret du CD, j’explique ce que chaque morceau signifie.
En incluant dans «Una Rosa Blanca» les paroles d’Obama, c’est déjà très clair.
C’est un discours historique. Le message d’Obama est tellement fort. Il n’y a jamais eu un discours aussi pertinent. Tous ses prédécesseurs ont pris des décisions radicales contre ce pays. Et Obama tend la main en citant la poésie d’un écrivain de ce pays, c’est une symbolique incroyable. Imaginez demain un dirigeant israélien à Gaza qui cite un poète palestinien, ça n’existe pas!
Et puis il y a aussi Allende.
Les paroles d'Allende qui savait qu'il serait emmené pour être assassiné. Il dit: «C'est pas grave parce qu'après moi, d'autres prendront le relais et poursuivront cette quête.» Quel message de résilience, c'est un symbole très fort. La troisième voix dans l'album, c'est la voix de ma fille à un an, que j'ai filmée quand elle essayait de marcher. Elle tombait, puis se relevait et riait, puis tombait de nouveau: il y a aussi une résilience dans sa démarche. Je trouve que ces trois voix, celle de celui qui est face à la mort, celui qui est face à l'adversité, celle qui est face à sa nature, c'étaient trois manières de donner du sens à cet album, cette source intarissable qui est en nous de se reconstruire.
En concert au Mithra Jazz à Liège le 16 mai, et au Cirque Royal à Bruxelles le 30 mai.