Denis Dercourt : "J’ai décidé d’arrêter le cinéma"
Le scénariste et réalisateur Denis Dercourt propose un premier roman. Et il a pris goût à l’écriture. Rencontre.
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- Publié le 15-09-2023 à 08h00
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Est-ce que quand on est le fils d’un sale type, on en devient forcément un ? Léon est né pendant un bombardement, un matin d’été 1944, d’une mère adolescente et d’un père collabo. Très vite, il grandit avec une certitude: c’est le plus fort qui gagne. Et un objectif: venger sa mère. Il y a les gens qu’il admire, les amis pour lesquels il donnerait tout (tant que ça sert ses intérêts). Quant aux ennemis, il les écrase sans scrupule.
Denis Dercourt, votre héros, Léon, on a du mal à décider si c’est un gentil ou un salaud…
Ce n’est pas à moi de répondre ! Ce que j’aime dans un livre ou dans un film, c’est d’avoir de la place en tant que lecteur ou spectateur. J’aime m’y projeter moi. Alors pour l’aspect moral, j’ai mis les choses sur la table et c’est au lecteur de savoir quoi en penser.
Il fait des choses horribles mais on lui trouve souvent de bonnes raisons…
On sait exactement d’où il vient. Peut-être que le lecteur, à sa place aurait fait pareil. Et puis il y a des gens qui l’admirent. Sa mère l’aime beaucoup (rire).
On ne sait jamais ce qu’il pense non plus…
C’est voulu. Il n’y a ni adverbe, ni qualificatif, ni adjectif. Ca n’a pas été si simple à écrire. Tout le boulot a été de les enlever pour permettre au lecteur d’en déduire ce qu’il veut.
C’est très cinématographique ça
Effectivement. C’est un truc de grand acteur de pouvoir avoir plusieurs couches dans l’interprétation. Il n’y a que les grands acteurs qui peuvent faire de bons méchants.
Est-ce que l’écriture d’un roman est fort différente de celle d’un scénario ?
C’est très différent. Avec un scénario, on sait où on va. Là au départ, je ne savais pas. J’avais des voix, des scènes. C’était comme des morceaux de puzzle et l’image globale apparaît à la fin. J’ai voulu être honnête et laisser mon inconscient me guider. J’aurais voulu qu’il soit plus gentil, mais ça n’est pas arrivé.
Ça dit beaucoup de vous…
Oui, comme chez le psychanalyste, il y a une partie de moi que je ne connaissais pas, des choses que j’ai comprises avec ce premier roman. Sans que ça ne soit trop précis. Un écrivain tourne toujours autour du même noyau, il est toujours en mouvement.
Alors qu’est-ce que l’écriture de ce livre vous a apporté ?
(Il réfléchit) Un petit sentiment de paix quand même. Quand on écrit, c’est qu’on a un trouble de la personnalité multiple. C’est maîtrisé, mais quand même… (rire) C’est arriver à l’exprimer de manière canalisée.
L’avantage par rapport à un film, c’est qu’on peut mettre autant de figurants, d’hélicos, de bagnoles écrabouillées ou d’effets spéciaux qu’on veut, ça ne coûte rien.
Ah oui, tout est possible, c’est super agréable. Il faut par contre être juste et cohérent sur la psychologie des personnages, même les personnages secondaires.
Pourquoi c’était le moment de l’écrire ?
J’écris depuis longtemps. Très jeune, j’avais publié des poèmes, des nouvelles. Je voulais écrire un roman, mais j’étais totalement bloqué. Vers 27-28 ans, j’ai écrit par hasard un texte pour une comédienne. Mon grand père était dans le cinéma, mon père, mon frère… j’ai fait un court-métrage et ça a marché. Alors j’ai écrit des films. J’ai toujours écrit. Le lendemain de l’enterrement de mon père, j’ai commencé. Ca devait être une pièce de théâtre et c’est devenu un roman.
Est-ce que l’écriture d’un roman a nourri le cinéaste ?
J’ai décidé d’arrêter le cinéma. J’enseigne toujours l’écriture et la réalisation à Strasbourg et à Cologne. Mais j’ai pris l’écriture du roman très sérieusement, c’est quelque chose que je voulais faire avant les films. Alors si le roman nourrit le cinéaste, on ne le saura jamais. Mais j’ai trouvé plus intéressant d’écrire un livre qu’un scénario. J’aime travailler avec le cerveau des lecteur, jouer sur les non-dits…
Denis Dercourt, "Evreux", Denoël, 279p.