Avec "Mes pas dans leurs ombres, Lionel Duroy sur les traces de massacres de Juifs
Double féminin de Lionel Duroy, la narratrice de "Mes pas dans leurs ombres" découvre le pays de ses parents sous son versant le plus noir.
- Publié le 12-09-2023 à 18h00
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De Iasi, en Roumanie, à Czernowitz, en Ukraine, en passant par une demi-douzaine de villes moldaves, Adèle, accompagnée de son traducteur devenu son "amoureux", va suivre la route du martyr des Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, de pogroms en ghettos. Cette trentenaire journaliste à Paris, née deux ans après la fuite de ses parents de Roumanie en 1983, facilitée par son grand-père paternel qui était un proche du dictateur Ceausescu, n’avait jamais imaginé se rendre dans ce pays, avant que son rédac’chef décide de l’y envoyer. Le parcours qu’elle suit, mettant, comme le dit le beau titre du roman, ses "pas dans leurs ombres", Lionel Duroy l’a emprunté à de nombreuses reprises. Passionné par cette région d’Europe, il y revient cinq ans après Eugenia où il racontait le massacre de quelque 15 000 Juifs en juin 1941 à Iasi.
"Fille d’un couple d’immigrés, elle une image déplorable de ce pays qu’elle n’a aucune envie de connaître, précise-t-il. Elle est un vrai voyou qui veut débusquer ce qui est arrivé. Elle n’est jamais dans la compassion, elle ne s’intéresse pas aux victimes mais aux bourreaux. Elle est en colère. J’aime beaucoup ce genre de femmes assez rentre-dedans, qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Et le fait qu’elle soit très sexuelle est pour moi l’image d’une femme moderne qui exprime les mêmes désirs que les hommes. Dans une situation de génocide, de mort, l’érotisme est très important, c’est une respiration."
Si les tueries de Iasi sont aujourd’hui enfin reconnues, celles dont il est question dans ce roman, personne n’en parle car personne ne les connaît. Au fil de son voyage, Adèle rencontre des maires, des responsables de musées, quelques habitants aussi, qui ignorent tout de ce qui s’est passé avant l’intégration de leur pays dans l’URSS dans les années 1940. Adèle prend en photo et pénètre dans les maisons dont leurs propriétaires juifs ont été chassés et qui appartiennent généralement aux descendants de ceux à qui elles ont été attribuées. Sans rien leur reprocher, juste pour savoir.
Un an après Disparaître, où il racontait son périple à vélo jusqu’à Sulina, une ville portuaire roumaine sur la mer Noire, l’auteur du Chagrin revient dans la même région pour en débusquer les silences. Roman contemporain sur des faits historiques, Mes pas dans leurs ombres met superbement en scène une femme confrontée à l’indicible qui trouve une raison de vivre dans ce qu’elle avait mis tant d’énergie à détester et à fuir.
Lionel Duroy, "Mes pas dans leurs ombres", Mialet-Barrault, 252 p.