Ceux qui me touchent [INTERVIEW&CRITIQUE] – L’insoutenable pesanteur de l’être
Près de 10 ans après “Ceux qui me restent”, le duo Bonneau-Marie poursuit sa collaboration, avec le portrait contemporain d’un père de famille paumé. Une drôle de claque, noire et lumineuse à la fois.
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- Publié le 07-09-2023 à 10h00
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Bonneau/Marie, Grand Angle, 224 p., 24.90 €

En 2014, Damien Marie et Laurent Bonneau concrétisaient une première collaboration avec Ceux qui me restent. Un ouvrage intimiste dans lequel un père défaillant et arrivé aux portes de la mort avec, sur ses bagages, la maladie d’Alzheimer, tentait de renouer avec sa fille Alice.
Presque dix ans plus tard, le duo signe un nouvel album dont le titre fait inévitablement écho à cette première expérience. Et d’ailleurs, Ceux qui me touchent évoque, une fois encore, la trajectoire d’un père. Un quadragénaire, cette fois, qui tente de préserver l’innocence de sa fille de cinq ans quand lui s’abîme, chaque nuit, dans l’abattoir qui l’emploie, entre cris, tripes, boyaux et excréments.
J'avais besoin que ma fille grandisse pour raconter un nouvel épisode axé sur les réactions d’un enfant de 5 ans
“Dès que j’ai reçu et lu le scénario de Damien, se souvient Laurent Bonneau, j’ai vu un lien relativement évident entre les deux histoires. À savoir la relation père-fille mêlée aux confusions de l’esprit tout en conservant un fond de thématique sociale. Néanmoins, malgré ces liens, ce sont deux histoires différentes.”
Mais deux histoires tout aussi noires. C’est bien simple : on se croirait presque dans un drame social à la belge. Le décor, pourtant, est bien français. Et nourri par le vécu des auteurs : “Ma fille est née quand est sorti notre premier livre, raconte Damien Marie, qui est allé jusqu’à visiter un abattoir pour se documenter. Alors, oui, nous avons tout de suite eu l’ambition de refaire quelque chose ensemble. Mais pour ma part, j’avais besoin que ma fille grandisse pour raconter un nouvel épisode axé sur les réactions d’un enfant de 5 ans.”

Élisa – c’est son nom – en est le discret pivot. La petite lumière qui tient en vie son père, usé par le monde moderne, et sa façon de bousculer ou marchandiser les corps, qu’ils soient humains ou animaux. Un quotidien avec lequel il ne se sent plus en harmonie, et qui vient faire douloureusement écho à ses propres renoncements, notamment professionnels.
N’allez pas croire, pour autant, que tout est crépusculaire dans Ceux qui me touchent : la poésie, par exemple sous la forme d’un cochon… tatoué, et l’humour y sont distillés par petites touches. Et rien n’est cousu de fil blanc dans ce scénario magnifié par le dessin de Bonneau, qui a diablement progressé en une décennie, et qui sait aujourd’hui insuffler une grande puissance picturale, qui emprunte autant au réalisme qu’au registre fantastique pour amener son lecteur là où il le souhaite : à une émotion la plus pure possible. Une troisième collaboration ? Il ne dit pas non : “Nous l’avons évoqué, en effet. Et je pense que là aussi, les choses vont se faire naturellement, sans la contrainte du temps”.