Amélie Nothomb est un oiseau
Dans "Psychopompe", qui sort ce mercredi, Amélie Nothomb évoque sa passion des oiseaux et de l’écriture et son amour pour son père.
- Publié le 23-08-2023 à 04h00
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S’il en est une qui ne rate jamais sa rentrée (littéraire), c’est bien Amélie Nothomb. Pour la 32e fois, depuis son Hygiène de l’assassin en 1992, elle sort en cette fin de vacances (ce mercredi très exactement) son annuelle et métronomique contribution à la littérature, avec Psychopompe.
Dans la mythologie, un dieu psychopompe est un conducteur des âmes des morts, souvent représenté par un oiseau. Et l’oiseau, c’est l’animal par excellence d’Amélie Nothomb, dont elle s’est énamourée enfant alors qu’elle vivait à l’étranger avec sa famille emmenée par son diplomate de père.
La grue et le rossignol au Japon, le corbeau en Chine, la faune aviaire variée de Central Park à New York, son bengali en cage et le fascinant engoulevent oreillard au Bangladesh… Comme eux, Amélie Nothomb voulait être légère, pour s’envoler. Anorexique pendant plusieurs mois, c’est finalement dans l’écriture qu’elle trouvera sa liberté, qu’elle déploiera ses ailes dans un espace infini avec mille et une trajectoires possibles. "Désormais, écrire, ce serait voler, dit-elle à la page 102. Je ne suggère pas que me lire soit un exercice d’altitude, je sais que quand j’atteins mon écriture, je vole. Mon rêve prit sens. Oui, j’avais découvert la gymnastique qui permettait de s’envoler: il s’agit de se positionner d’une manière particulière à l’intérieur de soi, de saisir le bon angle et la juste distance et de se précipiter. Se précipiter au sens propre: se lancer, tête la première, dans le précipice. Voir le sol se rapprocher et battre des ailes, non pas par fantaisie mais afin de ne pas s’écraser."
Par l’écriture, la romancière sort de sa coquille. D’oisillon, elle devient oiseau. Son chant, ce sont ses mots. Qu’elle entonne très tôt dans la journée, c’est qu’on n’a jamais vu un oiseau ne pas s’éveiller à l’aube pour s’octroyer une grasse matinée. "Mon chant serait écriture. Comme l’alouette, je chanterais au moment de voler. Plus précisément, mon vol serait ma musique. Mélodie ténue, peut-être audible de moi seule, musique de survie cependant. L’immense majorité des peuples ont identifié l’oiseau au psychopompe. Cela semble évident: qui peut effectuer le voyage le plus radical sinon celui qui vole ? Et quand on désigne un psychopompe humain, c’est Orphée, le poète, celui qui chante – l’autre attribut de l’oiseau."
"Terriblement exaltant"
Et Nothomb va chanter avec des morts, dont son père, décédé au début de la pandémie de Covid, quelques mois après la publication de Soif, le 28e roman de sa fille où elle s’intéresse aux derniers moments de la vie de Jésus. "À personne je n’avais confié le caractère psychopompe de l’écriture de Soif et de mon écriture en général. Il faut supposer pourtant que mon père l’avait compris, car il se mit à me parler sans relâche […] Devenir la psychopompe de mon père s’avéra terriblement exaltant." Cette expérience la lance dans l’écriture de Premier sang, où elle raconte la vie de ce père. Une fois le manuscrit publié, Patrick Nothomb "se tut, il avait obtenu ce qu’il voulait". Mais la romancière belge, elle, compte bien approfondir son pouvoir psychopompe, la grande mission d’un oiseau selon elle. "J’en suis encore au stade du bricolage. Je n’ai pas dit mon dernier mot."
Si "Écrire, c’est voler" ; lire, c’est assurément rêver. Et nous, après ça, on ne demande qu’à planer à nouveau au-dessus de ses pages…
Amélie Nothomb, "Psychopompe", Albin Michel, 157 p.