Douglas Kennedy et le cauchemar américain d’un pays divorcé
Dans "Et c’est ainsi que nous vivrons", Douglas Kennedy dépeint un futur réaliste et flippant d’une Amérique plus désunie que jamais.
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- Publié le 25-07-2023 à 12h05
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Nous sommes en 2045 et les États-Unis ont fait sécession. Sur les côtes, la République unie. Au centre et au sud, la Confédération unie. La première est très progressiste: mariage pour tous, avortement, amour libre… Mais les individus sont surveillés en permanence, la notion d’intimité n’existe plus. La Confédération, elle, est une théocratie. Pas de surveillance ici, mais un fondamentalisme chrétien moyenâgeux. On y a réintroduit le bûcher pour punir ceux qui blasphèment. Ca ne fait pas franchement envie. Ni un système ni l’autre.
Le déclic pour ce roman ? Un dîner avec un "camarade de classe de l’université". "C’est un golden boy de Wall Street, un homme hyper riche, très intelligent. Socialement progressiste, fiscalement conservateur. Je lui parlais de mon précédent roman que j’étais en train d’écrire, Les hommes ont peur de la lumière , dont le sujet est l’avortement. Je lui ai dit l’avortement c’est foutu ici aux États-Unis avec la Cour suprême et sa majorité de juges conservateurs. Et ce mec a dit quelque chose de très intéressant. C’est quelqu’un d’hyper élevé dans le monde de la finance américaine. Il a dit"Pourquoi on subventionne des voyous du sud et du midwest avec leurs idées contre une société laïque, leur idée de "Jésus est mon pote" et des choses comme ça. Qui contrôle l’économie américaine ? La Californie, la 4e économie du monde, ici on est à New York, le centre de la finance globale: c’est nous. Pourquoi on va subventionner des clowns, il faut divorcer !" On lui dit que ça fait furieusement penser à la Belgique ce débat sur la solidarité intranationale. Il sourit. "Ou au Québec ", complète-t-il.
"Il ne reste que les extrêmes"
Est-ce que c’est une histoire pour mettre en garde contre les dérives autoritaires, les fakenews, ou alors une utopie pure ? Il répond du tac au tac. "Il ne faut pas être naïf, toutes les utopies sont devenues fascistes, toujours. J’ai écrit un livre où le centre a disparu, il ne reste plus que les extrêmes en politique. Mais c’est déjà le cas dans beaucoup de pays: le centre est marginalisé."
Technologie et solitude
Dans le futur de Douglas Kennedy la technologie est au service du pouvoir pour mieux surveiller et contrôler les citoyens. Pour mieux les diviser et les rendre seuls aussi. Et là, dit l’auteur, on est déjà dans la fiction. "On est complètement connectés et complètement déconnectés. La solitude est partout. Je regarde des couples dans un resto, chacun a son portable. C’est triste". Et ça pose un grand problème pour lui: "Si on est obsédés par les écrans, c’est quoi notre rapport avec les mots et avec l’écriture, avec les livres, avec des idées ? Quand on lit, on voyage, quand on lit, on réfléchit et on comprend. J’ai eu une éducation classique, j’ai eu de la chance. Mais c’est rare, surtout pour quelqu’un de la classe moyenne comme moi". Ado, il a étudié Shakespeare, Joyce, Flaubert, Ibsen, Tchekhov… L’historien qu’il est a aimé la beauté des textes. Mais pas que. "Ce qui est extraordinaire, c’est le fait qu’ils n’ont pas de réponse. Il n’y a pas de réponse dans la vie, il y a toujours des questions et ce n’est jamais simple. Mais le problème, avec les systèmes totalitaires, c’est que quelqu’un a des réponses, toujours".
Douglas Kennedy, "Et c’est ainsi que nous vivrons", Belfond, 335p.
La vérité: j’aime mon pays"
Il y a quand même des trucs qui ne changent pas dans le futur de Et c’est ainsi que nous vivrons. Par exemple, l’égalité homme femme, on n’y est toujours pas. Son héroïne est une femme forte et indépendante mais "C’est vrai, on n’y est toujours pas. Mais c’est mieux déjà aujourd’hui que quand j’étais jeune." N’empêche. "La raison pour laquelle Trump a gagné les élections, c’est Hillary Clinton. Il y a des gens qui ont dit"jamais une femme". J’ai voté pour elle, c’est une femme brillante mais comme candidate, c’est une catastrophe. Parce qu’elle n’est pas connectée avec l’Amérique profonde, avec la classe populaire. Biden est connecté avec ça. C’est quelqu’un de la classe moyenne".
Il y a quand même des choses qui se sont améliorées depuis 60 ans. "Pour les copains homosexuels, c’est beaucoup mieux. Heureusement. Mais le racisme est partout dans la société américaine. Ca aussi c’est difficile. La vérité: j’aime mon pays, je ne suis pas contre les États Unis et j’ai décidé de revenir après 23 ans en Europe. Il y a beaucoup de choses que j’admire et beaucoup de choses qui me font peur".