Harry Dickson adapté en BD : ce Sherlock Holmes est un peu belge
Un trio franco-italien sort de la naphtaline Harry Dickson, détective privé longtemps dans l’ombre de celui de Conan Doyle – et que l’on doit à notre compatriote Jean Ray – en lançant une adaptation sous forme de série dessinée.
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- Publié le 31-05-2023 à 04h30
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“Harry Dickson”, tome 1 : “Mysteras”, Ray/Headline/Vergari/Catacchio, Dupuis, 64 p., 15,95 €.
C’est ce qu’on appelle changer le plomb en or. Au printemps 1929, celui qui s’appelle encore Raymond Jean-Marie De Kremer sort de prison, où il a passé près de trois années pour une sombre affaire de contrebande et d’escroquerie. Coqueluche du monde littéraire bruxelloise avant cette condamnation, le gaillard se sait “grillé”. Et accepte – parce qu’il faut bien manger – de se coltiner les traductions de textes étrangers. Et parmi eux les aventures, écrites en allemand, d’un détective qui, sous sa plume, deviendra Harry Dickson. Il entrera finalement dans l’histoire de la littérature feuilletonesque de genre aux côtés d’autres enquêteurs célèbres de la même époque : Sherlock Holmes, bien sûr (dont il… porte même le nom dans les premiers récits à traduire, avant que les avocats de Conan Doyle ne viennent y mettre de l’ordre), mais aussi Arsène Lupin ou Rouletabille.

Pas de réédition depuis… 2007

Près d’un siècle plus tard, le constat est pourtant implacable : bien peu connaissent encore ce détective aux manières raffinées, et pas tellement davantage le reste de l’œuvre de Jean Ray – son pseudonyme le plus connu, avant John Flanders –, au sein de laquelle figure pourtant Malpertuis, encore considéré par d’aucuns comme un roman “culte”. Certains en viendraient même à oublier qu’il fut Belge… “Toutes proportions gardées, grimace Doug Headline, c’est un peu comme si chez nous, en France, on ne connaissait plus Dumas.”
Le scénariste français au pseudo très anglophone (et fils de l’écrivain Jean-Patrick Manchette) a donc entrepris d’adapter certaines des aventures d’Harry Dickson en bande dessinée. Le premier volet (à suivre), Mysteras, transposition du numéro 107 de la collection, est sorti début mai. Il donne à voir un univers singulier, aussi proche que… très éloigné de celui imaginé par Doyle : certes, on a là un “privé” plutôt futé (et aux manières plus raffinées), mais surtout une enquête où, comme dans beaucoup d’autres des plus de 170 textes qui lui sont crédités, le fantastique joue un rôle de premier ordre, quand l’écrivain écossais imbriquait soigneusement les différents éléments de ses intrigues, jusqu’à la résolution finale.
Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si chez nous, en France, on ne connaissait plus Dumas
Selon Doug Headline, il est assez injuste que Jean Ray ait été ainsi oublié. Pour preuve : la dernière réédition de ses Harry Dickson – chez Marabout, pourtant une vraie réussite – date de 2007. “C’est vrai que Jean Ray lui-même a fait beaucoup pour brouiller les pistes autour de sa véritable vie : il a, tout comme son ami Henri Vernes, raconté beaucoup de sornettes pour nourrir l’image d’un écrivain aventurier. Mais contrairement à Vernes, qui était un homme charmant mais écrivait comme un pied (sic), Ray possédait une vraie qualité d’écriture.” “C’était, appuie, tout aussi fascinée, son amie et coscénariste italienne Luana Vergari, de la littérature populaire de qualité.”
Préserver son œuvre
Pour ces deux-là, l’enjeu, au-delà de pérenniser une série, est de pousser les lecteurs qui s’empareront des albums à relire, aussi, les romans de Jean Ray. Histoire, également, de préserver son œuvre : “L’ère numérique fait beaucoup de tort à la préservation de la culture, estime Doug Headline. Prenez les films : s’ils ne sont pas sur les plateformes, ils n’existent plus. Et ce sera bientôt la même chose pour la littérature ou la BD.”
Pourtant, l’écriture de Jean Ray, qui a mis beaucoup de sa… Flandre dans ses descriptions de Londres, n’est guère démodée, assure-t-il : “Elle n’est pas plus datée que celle de Flaubert ou de Dumas. Elle est juste particulière, mais l’était déjà à l’époque où il publiait. C’est ce qui lui permet de traverser le temps.”
