"Jésus est le premier féministe de l’Histoire"
Avec "Le bâtard de Jérusalem", Metin Arditi suit au plus près la vie de Jésus jusqu’à sa crucifixion. Un roman empathique et interpellant.
Publié le 22-05-2023 à 04h00
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Comment est né ce livre très fidèle à la réalité historique ?
Il s’est imposé à moi. J’étais en train d’écrire un roman qui se passe en Grèce au début des années 50 dans un monastère pour femmes. Comme l’une des moniales fait des photos des autres nonnes, je devais me renseigner sur ce que le christianisme dit du rapport au corps. En faisant mes recherches, je suis tombé sur un texte du théologien suisse Daniel Marguerat expliquant que Jésus est né
"mamzer", bâtard. En effet, le christianisme – qui dit qu’il a été conçu par l’Esprit saint et qu’il est le fils de Dieu – n’existant évidemment pas, aux yeux des Nazaréens, l’enfant qu’attend Marie, non encore mariée à Joseph, a été conçu hors mariage. À une époque où la Loi juive, qui exclut les mamzer, est très suivie, il est évident qu’il a été rejeté et a souffert.
Il s’agit, pour vous, d’une blessure fondatrice.
Quand, à 5 ans, les autres enfants refusent de jouer avec vous, ça vous marque. On ne rend pas assez honneur à cette douleur qui ne disparaîtra jamais et explique son cheminement. Si je suis convaincu que le pilier du christianisme est la croix, après avoir écrit ce livre, je pense qu’il y a aussi cette autre petite croix qui est son statut de bâtard. Plus ce qu’il subissait en voyant comment sa mère était traitée par les villageois.
Jésus ne cesse pourtant de prôner l’amour…
Il est, pour moi, l’exemple suprême. Sa démarche transcende la révélation. C’est beaucoup plus fort, à mes yeux, s’il est fils et non Fils de Dieu. Ce qui est extraordinaire, c’est que tout ce qu’il fait, il le fait en tant qu’homme.
Jésus est réformiste et non révolutionnaire, il veut agir dans la loi. Contrairement à Judas qui veut créer une nouvelle secte.
Il est venu pour accomplir et non pour abolir la loi. Il est un Juif en opposition totale avec l’interprétation qui y est faite de la religion. Ce qu’il propose est absolument incroyable, il est d’un courage inouï. Il fait venir à sa table des femmes, des prostituées, des filles-mères. Il est le premier féministe de l’Histoire. Judas, lui, veut créer une secte qui accepte les mamzer, car il en est un. Mais il n’a pas le charisme de Jésus et, contrairement à lui, il n’a pas eu, enfant, cet amour extraordinaire de ses parents qui fait qu’il s’est attaché à la tradition.
Pourquoi faites-vous de Marie un esprit simple ?
Je suis très attaché à elle, j’ai son buste à la maison. Pour moi, elle incarne la pureté. Du point de vue du romancier, c’était ma seule difficulté technique. Pour qu’à son âge, 14 ans, elle accepte de boire le vin doux d’un Romain qui va la mettre enceinte, il faut qu’elle apparaisse comme simple. Mais on voit, dans la suite du roman, qu’elle ne l’est pas du tout, qu’elle a au contraire une forte personnalité
Pourquoi cette région du Moyen-Orient, où se passent d’autres de vos livres, notamment "Rachel et les siens", vous intéresse-t-elle ?
Je suis très en colère contre tout ce qui touche à l’occupation de la Palestine. J’y ai créé la Fondation pour les instruments de la paix, qui favorise l’éducation musicale d’enfants principalement palestiniens, et la Fondation Arditi pour le Dialogue Interculturel qui organise des échanges d’écritures entre Israéliens juifs et arabes. Les Juifs doivent écrire des textes romanesques sur la situation locale en se mettant dans la peau d’un Arabe, et inversement. Mais, aujourd’hui, c’est très compliqué, des gouvernants prennent en otage l’héritage du peuple juif et, en son, nom, commettent des actes que cet héritage banni.
Metin Arditi, "Le bâtard de Nazareth", Grasset, 197 p.