Coppola, seize mois dans la tourmente pour son "Apocalypse"
Le très long tournage d’ « Apolcalypse Now », Palme d'or au Festival de Cannes en 1979, a conduit le cinéaste proche de la folie et de la ruine. Un roman graphique le raconte. Et c'est fascinant.
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Publié le 22-05-2023 à 12h00
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«Un tournage en enfer», Florent Silloray, Casterman, 160 p., 24 €.

«This is the end», chantait ironiquement Jim Morrison dans la scène d’introduction d’un film qui allait faire du morceau des Doors – The End – un indémodable classique, et consacrer le génie, autant que la folie, de Francis Ford Coppola.
Car il y a objectivement des deux dans son Apocalypse Now, palme d’or cannoise (c’est de saison) en 1979. Et un long-métrage comme on n’en a fait plus, constat en forme de madeleine qui a poussé Florent Silloray à lui consacrer un roman graphique, après s’être déjà penché, par le passé, sur Robert Capa puis le scénariste et réalisateur Merian C. Cooper.
«Comme eux, Coppola est un pionnier qui a changé les usages de son métier pour donner plus de libertés aux artistes et aux créateurs», insiste le Français, qui a en mémoire sa première vision du chef-d’œuvre : « J'avais été hypnotisé par ces images somptueuses, ces couleurs mouvantes qui forment comme des nappes et font penser à des tableaux du Caravage.»

Apocalypse Now occupe une place à part dans l’histoire du septième art. Film d’auteur autant que film de guerre, dans lequel un jeune capitaine doit éliminer un colonel aux méthodes cruelles au cœur de la jungle vietnamienne... alors que les Américains s'étaient déjà retirés du bourbier vietnamien, il constitue l’apogée et le dernier joyau d’une décennie exceptionnelle, lors de laquelle quelques réalisateurs (Coppola, mais aussi Spielberg et Lucas) sont parvenus – très provisoirement – à inverser le rapport de forces avec les grands producteurs d’Hollywood. Et à obtenir des financements parfois déraisonnables pour des films à l'ambition dévorante.
«C’est, reprend Florent Silloray, recentrant le propos sur Apocalypse Now, un des derniers films de l’histoire du cinéma intégralement tourné en prise réelle, avant l’arrivée des effets spéciaux, et c’est l’un des tournages les plus dingues et les plus fous qui ait jamais existé.»

Les plus longs, aussi, puisqu’il s’est étiré sur… plus d’un an, entre mars 1977 et mai 1978. Un tournage que Silloray raconte par le biais d’une voix off, celle d’une assistante imaginaire, laquelle ne nous passe aucun des événements qui ont conduit l’ami Coppola – pourtant encore auréolé d’un oscar en 1975 pour Le Parrain II – proche de la dépression et de la ruine : l’infarctus de Martin Sheen, son acteur principal, la location des hélicos de l’armée philippine, l’arrivée d’un tigre sur le plateau, et bien sûr les excès en drogue et alcool de l’équipe technique.
«En voyant Coppola donner des ordres du mégaphone sur le plateau, on a l’impression d’un général en campagne. Je crois que le génie comme la folie de Coppola s’observe dans sa capacité à embarquer une équipe de techniciens et d’acteurs, tous soudés par la perspective du film qu’il a rêvé et sa foi inébranlable dans sa liberté créative. Il croyait en ce projet faramineux et, en dépit de tout, il l’a rendu possible», conclut Silloray, toujours admiratif du réalisateur de 84 ans, qui a désormais son étoile à Hollywood, et qui a encore sorti, en 2019, un "final cut" de son film. Preuve que cet Apocalypse Now un peu son supplice prométhéen à lui. Ou une légende sans fin. Ou les deux.