L'incroyable destin de Judee Sill, l'icône oubliée

Elle a été produite sur le label Asylum, et fait les premières parties de Crosby, Stills & Nash. Mais si sa musique a connu une deuxième vie notamment grâce à la numérisation, Judee Sill, aujourd’hui racontée dans un roman graphique, reste une artiste méconnue, au talent pourtant ébouriffant. Portrait d’une météorite.

Judee Sill
Judee Sill

«Judee Sill», Dupuis (Aire Libre», Canales/Iglesias, 96 p., 25 €.

"Judee Sill", Dupuis, 2023
"Judee Sill", Dupuis, 2023 ©Dupuis

Elle est morte une triste nuit de novembre 1979. Mais à dire vrai, certains la pensaient disparue depuis bien plus longtemps… et ils n’avaient peut-être pas totalement tort tant les dernières années de Judee Sill furent un long calvaire, conclues dans une overdose – une de plus – fatale.

Elle avait alors 35 ans. Et été, quelques années plus tôt, l’une des artistes les plus prometteuses de sa génération. Après la sortie de son premier album éponyme, en 1971, le Los Angeles Free Press, un journal alternatif américain alors très populaire dans le milieu hippie, parlait d’elle comme de «la nouvelle chanteuse-compositrice la plus importante et la plus excitante depuis Laura Nyro», une autre «oubliée» des seventies.

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Une Janis Joplin a basculé dans l’alcool et la drogue quand elle est devenue une rock star; Judee, elle, a connu tout ça dès l’enfance

C’était l’époque de tous les espoirs, lorsqu’elle était signée par le bientôt célèbre label Asylum, ou se produisait en ouverture de Crosby, Stills & Nash. Une courte parenthèse enchantée, le temps de sortir deux albums encensés par la critique, mais ignorés par le public. Et avant de la voir retomber dans la violence, la drogue et l’alcool.

Des démons dont elle aurait hérités de l’enfance : «C’est, soutient Juan Diaz Canales (Au fil de l'eau), qui a écrit la biographie dessinée de l’artiste sortie fin avril chez Dupuis, l’une des choses qui la différencient d’autres artistes de l’époque. Une Janis Joplin a basculé dans l’alcool et la drogue quand elle est devenue une rock star; Judee, elle, a connu tout ça dès l’enfance

"Judee Sill", Dupuis, 2023
"Judee Sill", Dupuis, 2023 ©Dupuis

Maltraitée – et dit-on abusée – par son beau-père après la mort de son père, pas vraiment protégée par une mère alcoolique, la jeune Judith (son vrai prénom) sombre vite dans la délinquance. Elle se marie à 16 ans, braque des magasins d’alcool, dévalisedes stations-service, se prostitue même. Et finit inévitablement en maison de correction, puis en prison. La légende dit que c’est enfermée entre ces quatre murs, et alors qu’elle possédait aussi de prédispositions évidentes pour le dessin, qu’elle décide de devenir autrice-compositrice. Juan Diaz Canales fait la moue : «Elle dira aussi qu’elle avait appris le piano en jouant dans le bar de son père, avant la mort de celui-ci, du côté d’Oakland. Mais quand tu écoutes sa musique, tu te dis que ça ne peut pas suffire à expliquer une telle virtuosité

C’est l’un des nombreux mystères qui entourent le destin singulier de Judee Sill, à l’instar des dernières années de son existence, passées loin des projecteurs, mais avec semble-t-il sous le coude de nouvelles compositions dont elle espérait faire un troisième album, intitulé Dreams Come True… et finalement édité à titre posthume par la productrice Pat Thomas en 2005.

«The Kiss», son chef-d’œuvre

Il faut dire qu’elle n’a rien fait, de son vivant, pour entretenir son mythe : les informations à son sujet sont assez éparses, et la plupart issues d’une seule et même interview, donnée en son temps au magazine Rolling Stone… et qui sert de fil rouge à l’album de Juan Diaz Canales et de son ami dessinateur Jesus Alonso Iglesias : «Elle aurait pu, estime ce dernier, devenir l’une des plus grandes chanteuses de son temps

C’est en partie cette conviction qui a poussé le duo à raconter sa vie dans une bande dessinée très colorée et mise en chantier après que le scénariste a découvert la musique de Judee Sill sur une célèbre plateforme d’écoute en ligne, et notamment la chanson qui reste considérée comme son chef-d’œuvre, l’ensorcelante The Kiss. La preuve que son travail et ses textes, qui font la part belle à la spiritualité et tranchent avec ce que fut sa vie, font encore leur petit effet, plus de 50 ans après : «Et on a envie, nous aussi, d’aider le monde à se souvenir qu’elle a existé», conclut l’auteur espagnol.

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