Gaëlle Nohant raconte les objets venus des camps de la mort
L'héroïne du passionnant "Bureau d'éclaircissement des destins", de Gaëlle Nohant, recherche les traces de déportés pour leurs descendants.
Publié le 22-03-2023 à 16h46 - Mis à jour le 22-03-2023 à 16h48
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Situé à Bad Arolsen, une petite ville du centre de l'Allemagne, le très peu connu Service International de Recherches (International Tracing Service) tente de retrouver les traces des victimes des persécutions nazies à la demande de leurs familles.
Il possède aussi un énorme stock d'objets récupérés dans les camps. Un millier a été restitué au début des années 60, il en reste quelque 3000. "Lorsque le propriétaire d'un objet est retrouvé, le Centre prévient ses descendants, explique Gaëlle Nohant. Cet objet ent re alors par effraction dans leur vie, avec une histoire qu'ils n'ont peut-être pas envie de connaître. Mais il y a très peu de mauvaises réactions, il est très rare qu'il soit refusé. Je suis au contraire frappée par son importance pour ceux qui le reçoivent. C'est réconciliateur, apaisant. Comme une cérémonie de deuil, parce que, souvent, leur mort est sans corps et, symboliquement, l'objet le représente. Il scelle le retour de la personne disparue dans la vie de la famille. Non seulement celle-ci prend cela très à cœur, très au sérieux, mais, en plus, ça la réunit. Des gens qui ne se parlaient plus depuis 30 ans se réconcilient."
Un petit pierrot blanc
Employée à cet institut, Irène, l'héroïne du Bureau d'éclaircissement des destins, est chargée par sa directrice, française comme elle, de retrouver le propriétaire de quelques objets. Elle choisit un pierrot blanc ayant appartenu à une enfant déportée à 13 ans à Buchenwald, en 1942. Il lui a été donné, découvre-t-elle, par un jeune homme nommé Mattias dont elle va tenter de remonter la trace.
Au même moment, elle reçoit la lettre-confession d'une gardienne à Ravensbrück, envoyée par sa petite-fille, qui contient le médaillon d'une Polonaise emprisonnée dans ce camp.
À ces deux pistes qu'elle se met à suivre avec passion et ténacité, vient s'ajouter une troisième qui concerne Eva, son ancienne supérieure, elle-même déportée et arrivée au Centre à 17 ans, à laquelle s'intéresse sa lointaine petite-cousine argentine.
À travers les recherches de cette mère d'un adolescent, qui a été mariée à un Allemand dont le père a servi dans l'armée pendant la guerre, le roman aborde de nombreux sujets relatifs à cette période sombre: le ghetto de Varsovie et plus largement le sort des Juifs polonais, la résistance intérieure polonaise, les enfants enlevés par les nazis et confiés des familles "aryennes" ou le mythe d'une Wehrmacht "propre".
L'ITS reçoit aujourd'hui encore plusieurs milliers de requêtes par an. "Et ce n'est pas près de s'arrêter, pense la romancière. Les descendants, surtout les petits-enfants, éprouvent le besoin de se relier. Ils sont suffisamment loin du traumatisme pour ne pas redouter les révélations et secrets de famille qu'ils pourraient découvrir. Par exemple que le déporté a eu une autre femme et d'autres enfants dont il n'a jamais parlé."
Gaëlle Nohant, "Le bureau d'éclaircissement des destins", Grasset, 411 p.