Madones et putains [CRITIQUE & INTERVIEW] - Des femmes prises au piège de l’Histoire
Nine Antico tisse sa toile féministe autour de trois nouvelles venues raconter les destins brisés de trois Italiennes du XXe siècle. Et c’est assez brillant.
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Publié le 16-02-2023 à 12h38 - Mis à jour le 16-02-2023 à 12h39
"C ouvrez ce sexe, que je ne saurais voir", semble nous dire la magnifique couverture imaginée et dessinée par Nina Antico. La jeune dessinatrice française (42 ans) livre, avec Madones et Putains, un ouvrage drôlement singulier, dans lequel elle interroge la condition de la femme dans l’Italie du XXe siècle, un pays où la religiosité exacerbée peut aisément vous faire basculer dans un camp (les "madones") ou dans l’autre (les "putains").
"Ça se passe en Italie, confirme la quadragénaire, connue pour sa production volontiers féministe ( Maléfiques, Girls Don’t Cry)… mais ça aurait pu se passer dans beaucoup d’autres pays, où le crime passionnel n’a, pendant longtemps, pas été pénalement répréhensible. C’était par exemple le cas en France, avec le Code civil napoléonien. Alors, oui, ça se déroule en Italie, mais tout tourne, encore une fois, autour de l’oppression et de la répression de la sexualité de la femme ; or, celle-ci a aussi bien eu lieu en Italie ou en France qu’en Belgique, en Suisse et en Pologne."
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S’appuyant sur une documentation importante, et notamment l’œuvre du romancier italien Curzio Malaparte, Nine Antico découpe son récit en trois nouvelles liées entre elles et placées chacune sous le "haut patronat" d’une figure sainte locale (Agata, Lucia et Rosalia): la première met en scène une jeune adolescente exilée dans un institut médical pour enfants malades afin de l’écarter du scandale né du meurtre de sa mère, assassinée par son amant ; la deuxième, la plus longue, évoque l’étonnante cohabitation, durant la Seconde Guerre mondiale, entre les très pieuses mais pragmatiques Napolitaines et leurs "libérateurs" américains ; la dernière raconte le quotidien d’une jeune femme coupable d’avoir trahi la mafia, chose qui lui a valu d’être reniée par ses parents eux-mêmes.
Le contraste italien de son enfance
Trois destins tragiques, brisés, voire macabres, pour lesquels Nine Antico emprunte – c’est une première pour elle – au registre fantastique, et projette ses propres peurs, nées d’un rapport très personnel à l’Italie. "Mon père est italien, raconte celle qui est aussi réalisatrice ( Playlist, sorti en 2021), et quand j’étais petite, nous allions chaque été dans les Pouilles. La religion y était présente: nous n’étions pas pratiquants, mais chez mes tantes se trouvaient beaucoup d’iconographies religieuses, qui m’ont marquée… et qui contrastaient avec la liberté propre aux vacances. Il y avait comme un érotisme adolescent qui était en contradiction avec les intérieurs sombres et les figures christiques."
Antico, Dupuis (Aire Libre), 144 p., 23.50 €