Daniel Pennac: « Il n’y a pas d’autre humour que le belge »
Plus libre que jamais dans son écriture, Daniel Pennac revient, avec " Terminus Malaussène ", à sa délirante tribu née il y a presque 40 ans.
Publié le 02-02-2023 à 08h00
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Daniel Pennac retrouve avec bonheur la tribu Malaussène pour une huitième aventure jonchée de rebondissements et à travers laquelle l’auteur de 78 ans continue de scanner notre époque.
Quand, en 1985, vous avez publié « Au bonheur des ogres », pensiez-vous déjà à la saga ?
Non, quand je l’ai écrit, j’ai eu l’idée de La fée carabine. Pendant cette suite, j’ai eu l’embryon d’idée de La petite marchande de prose, puis de Monsieur Malaussène. Et après, ça devait s’arrêter. Les deux épisodes suivants, Des chrétiens et des Maures et Aux fruits de la passion, sont nés de nouvelles qui m’avaient été commandées. Mais là, c’était vraiment fini. Jusqu’au moment où m’est revenu l’appétit de renouer avec l’écriture Malaussène, mélange d’oralité et de métaphores.
Pourquoi aviez-vous intitulé ce nouvel épisode, paru en 2017, « Le cas Malaussène » ?
Parce que Benjamin Malaussène est installé dans des structures narratives qui en font un cas de culpabilité avéré alors qu’il est constamment innocent. En 1982, je revenais du Brésil, où je pratiquais le hamac, et où j’avais lu plusieurs livres de René Giard, dont Le Bouc émissaire, ainsi que quinze Série Noire. C’est le rapport entre les deux, et le défi d’un camarade (NDLR: Jean-Bernard Pouy), qui m’a décidé de créer ce bouc émissaire professionnel, un type salarié pour être engueulé à la place des autres. Et vu qu’il a une famille nombreuse, il l’accepte.
Justement, comment est née cette tribu ?
Quand j’ai commencé, le roman noir avait des dogmes. Par exemple, les trois quarts du temps, le héros était un enquêteur solitaire. J’ai voulu rompre avec ce stéréotype de la solitude en mettant, sur les bras de Benjamin, une famille nombreuse due à sa mère qui fait des enfants par passions successives. Elle est d’ailleurs inspirée d’une personne que j’ai connue, comme bien d’autres personnages.
La saga d’une époque
Le répertoire à la fin du roman rappelle que vous en avez inventé environ 130, dont beaucoup portent des surnoms.
Ils sont imposés par l’histoire. L’histoire crée des nécessités qui créent elles-mêmes des résolutions qui impliquent des personnages. Et pour que le lecteur ait l’impression qu’un personnage existe vraiment, il ne doit pas être réduit à sa fonction. Il suffit d’une réplique pour qu’il devienne réel. Je ne les visualise pas, ils ne sont jamais décrits, je les sonorise. D’ailleurs, sur les couvertures des Folio dessinées par Tardi, Benjamin est toujours représenté de dos.
Si la série possède une dimension policière, avec meurtres et policiers, le ton est résolument à la comédie. C’est devenu votre patte ?
Je ne voulais pas céder aux codes pour créer les miens. Les seules choses immuables dans chaque épisode sont une crise d’épilepsie du chien Julius et une mort compensée par une naissance. C’est en fait très belge. Il n’y a pas d’autre humour que le belge, par sa fantaisie, sa liberté. Je m’amuse en écrivant, et je cherche à amuser le lecteur. La sinistrose de l’époque est telle que je n’ai pas envie d’en rajouter.
À plusieurs reprises, vos héros citent des épisodes précédents qu’ils ont vécus.
C’est comme dans la vie. Ils se remémorent des faits anciens, comme nous le faisons nous-mêmes tout le temps. Cela rend les livres vivants, au sens propre du mot. Ce sont aussi des aide-mémoire auxquels peut se raccrocher le lecteur s’il est perdu.
Vos romans parlent aussi de notre époque.
Oui, car j’en suis le produit, mais sans que ce soit délibéré. Je trouve l’époque très violente, d’où l’émergence d’un personnage comme Pépère pour qui la fin justifie les moyens, même si la fin est crapuleuse. Puisque l’espèce humaine est tueuse, il est tueur. Je me venge de mes filleuls qui, pour se moquer de moi, m’avaient appelé Pépère.
Daniel Pennac, « Terminus Malaussène », Gallimard, 441 p.