Philippe Besson signe un roman pour éveiller les consciences
Dans "Ceci n’est pas un fait divers", Philippe Besson raconte un féminicide et les autres vies dévastées autour.
Publié le 24-01-2023 à 09h00 - Mis à jour le 24-01-2023 à 10h46
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"P apa vient de tuer maman". Une phrase choc d’une sœur à son frère pour dire l’indicible. La sœur, c’est Léa, 13 ans. Le frère en a 19, il n’est jamais nommé, mais Philippe Besson l’a rencontré et a décidé de raconter son histoire.
Dans une librairie, un jeune homme vient lui parler de ses livres. Il le revoit et s’intéresse à son histoire familiale "Parce que j’essaie de comprendre qui il est. Et en l’interrogeant, il me dit "Il faut que je te dise, mon père a tué ma mère". Ca m’a laissé dans la sidération, il y a eu un silence interminable. Il y a peu de phrases qui interdisent la réplique. Celle là en fait partie. Qu’est-ce que vous voulez dire après ça ? Je lui ai demandé pourquoi il ne m’en avait pas parlé plus tôt. Il m’a répondu que la mort de sa mère emportait tout et que lui, il était à côté." Et pour le romancier qu’il est, parler des gens qui sont à côté, c’est ce qui l’intéresse. "Je me suis demandé comment on dit l’indicible et comment on donne la parole à ceux qui ne la prennent pas."
Tristes statistiques
Un féminicide, c’est devenu presque tristement banal dans les infos. Une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les deux jours et demi en France, rappelle Philippe Besson. "C’est ter rible à dire, mais on s’habitue aux statistiques…" Il aurait pu écrire un essai. Mais il est de ceux qui pensent que pour mieux raconter la réalité, il faut la romancer: "Les féminicides, c’est une réalité très documentée. Mais le roman ne s’est pas vraiment emparé de ce sujet-là. En passant par le registre du sensible, et de l’émotion, on peut peut-être éveiller un peu plus les consciences". Alors, il s’est glissé dans la peau de ce jeune homme pour raconter sa réalité de l’intérieur, sa descente aux enfers, celle de sa sœur, le grand-père comme un roc, soutien essentiel quand on a tout perdu.
Et moi, j’aurais fait quoi ?
Il y a bien d’autres sujets dans ce livre, comme la culpabilité, commune à toutes les victimes, soutient l’auteur. "Ce jeune homme m’a dit,"Tu peux pas imaginer comme je me sens coupable. Je me pose chaque jour la question de est-ce que j’aurais pu l’empêcher et qu’est-ce que j’ai pas vu ?" Quand on refait le film à l’envers, on y pense. Tous les éléments pris isolément pouvaient paraître insignifiants. On connaît tous un femme battue par son conjoint et on n’avait pas forcément vu puis on se dit ah oui, c’est vrai ce jour là, elle avait l’air d’avoir pleuré, puis elle a commencé à ne plus se maquiller, à porter des vêtements larges, et puis c’est vrai qu’elle était souvent triste quand même…
"Mais c’est un fait de société. Est-ce que nous autres, on fait quelque chose ? Si votre voisine sort de chez elle avec un bleu est-ce que vous allez appeler le 3919 (numéro français d’aide aux femmes victimes de violences, N.D.L.R.) pour dire je pense qu’elle est battue par son mari ? Évidemment non. On se dit que si ça se trouve elle est battue, mais qu’en fait j’en sais rien, puis c’est pas mon histoire. On est tous dans ça, quand on n’est pas sûr on n’y va pas. Il y a une difficulté à repérer les signaux dans notre société. Et puis le silence des victimes: on estime que quatre victimes de violences conjugales sur cinq ne porte pas plainte. Quatre sur cinq ! On comprend pourquoi elles n’y vont pas, je le leur reproche pas, on comprend les mécanismes qui font qu’elles se taisent. Mais ça vous donne une idée de la dimension de l’iceberg…"
Philippe Besson, «Ceci n’est pas un fait divers», Julliard, 205p.