Philippe Claudel au cœur de l’âme humaine
Derrière l’enquête policière, " Crépuscule " ausculte l’humain dans ce qu’il a de plus vil. Mais aussi, parfois, de plus beau. Un roman puissant.
Publié le 16-01-2023 à 18h30
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Crépuscule s’inscrit dans la lignée des Âmes grises ou du Rapport de Brodeck qui ont fait de Philippe Claudel l’un des écrivains français contemporains majeurs. Comme ces deux précédents romans, Crépuscule commence par un meurtre, ici celui du curé d’un village enfouit sous la neige, à l’aube des années 30. Rapidement, la minorité musulmane fait figure de parfait bouc émissaire, et le jour des funérailles, le Vicaire (majuscule requise) organise un bien étrange Chemin de Croix dans les rues du bourg. "Dans beaucoup d’endroits du monde, pendant des décennies, voire des siècles, des communautés de différentes confessions ont vécu en très bonne entente, rappelle l’auteur. Mais il suffit d’un rien pour que ça éclate. En ex-Yougoslavie, dans les mêmes villages, des amis se sont entre-tués parce que leurs voisins étaient musulmans."
Humanité en déliquescence
L’enquête menée par le Policier imbu de sa fonction et son Adjoint, un géant "à la timidité pataude", n’est qu’un prétexte pour peindre une humanité en déliquescence. Car le juré Goncourt est un exceptionnel décortiqueur de l’âme humaine, révélant ce qu’elle a de plus médiocre. Peu de personnages sont épargnés. L’enquêteur est par exemple attiré par la fillette qui a découvert le cadavre. "Il est l’incarnation de figures comme Dominique Strauss-Kahn ou Harvey Weinstein, des hommes dans une situation de pouvoir qui sont tellement gouvernés par leurs pulsions primaires et sexuelles qu’ils en viennent à oublier toute ligne de conduite à adopter et toute moralité."
Dans ce roman magnifique, d’une puissante lucidité, il est aussi question d’une vérité alternative qui finalement arrange bien tout le monde. "C’est tout le débat entre les faits et les opinions. La parole scientifique émergeant de spécialistes qui ont fait des études, des expérimentations est mise sur le même plan que celle de gens qui disent: non, je ne suis pas d’accord. C’est encore amplifié par les caisses de résonance que sont les réseaux sociaux. Elon Musk a récemment rouvert des comptes Twitter qui avaient été fermés parce qu’ils propageaient de fausses informations. Finalement, il est de plus en plus difficile de faire le tri entre le vrai et le faux."
L’univers dépeint par Crépuscule est profondément angoissant, quasi fantastique, même si tout ce qui s’y déroule est, hélas, totalement réaliste. "C’est un grand plaisir de créer une géographie littéraire. Un monde qui n’existe pas, qui surgit de l’imagination de l’auteur et embarque le lecteur. Il ne faut jamais perdre de vue que la lecture est un divertissement au sens noble du terme. Elle propose, sans se détourner de l’essentiel, une alimentation onirique. Ce livre est un hommage à tout ce que j’ai toujours aimé: la mythologie, les contes et légendes germaniques, slaves ou scandinaves."
Philippe Claudel, « Crépuscule », Stock, 506 p.