Lit de camp face à l'éléphant: Christophe Boltanski passe la nuit dans l’Africa Museum
Parcourant les salles du musée de Tervuren, Christophe Boltanski revient, dans " King Kasaï ", sur Léopold II et l’histoire du Congo belge.
Publié le 14-01-2023 à 08h30 - Mis à jour le 16-01-2023 à 09h11
:focal(545x555:555x545)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/XGRKZ7LRZVAMZMTMJKH6NGQMJY.jpg)
Depuis la réouverture en 2018 de l’Africa Museum avec une surface d’exposition qui a quasiment doublé de volume, l’entrée se fait par un couloir souterrain partant d’un bâtiment annexe. Jusque-là, c’est par la rotonde que l’on pénétrait dans ce vaste édifice inauguré en 1910, qui s’est appelé Musée du Congo belge puis Musée royal de l’Afrique centrale au lendemain de l’indépendance de la colonie belge. Cet espace circulaire est symbolique du considérable réaménagement qu’a connu ce lieu dédié au colonialisme et à Léopold II dont le buste, qui trônait en son centre a été déménagé dans une vitrine non loin. Il a été remplacé par deux œuvres en bois de l’artiste congolais Aimé Mpane. Et les statues véhiculant des stéréotypes racistes, impossibles à déplacer, ont été dissimulées derrière des voiles.
Dans un lit de camp face à un éléphant
C’est là que, pour ce nouveau titre de la collection Ma nuit au Musée, le journaliste et écrivain Christophe Boltanski a installé son lit de camp. Il fait face à l’un des plus grands éléphants d’Afrique baptisé King Kasaï, un animal majestueux abattu sur commande par Alphonse de Boekhat pour l’Exposition universelle de 1958.
Dans une précédente exposition de ce type, celle de 1897 voulue par le souverain belge, trois "villages nègres" figuraient un Congo miniature, pour lesquels 267 hommes, femmes et enfants avaient été arrachés à leurs villages. Sept d’entre eux sont morts de la grippe ou d’une pneumonie.
Avant de rejoindre le musée, le grand reporter a fait une halte par l’église Saint-Jean-l’Évangéliste, au centre de Tervuren, devant laquelle sont alignées leurs stèles qui ne recouvrent que du vide, leurs ossements ayant été jetés dans un charnier.
Dormant peu, Christophe Boltanski égrène les heures en passant de salle en salle. Il s’arrête longuement devant le "cimetière des statues", ces "vestiges d’un empire défunt" (comme le fameux homme-léopard) qui constituaient jadis la fierté du musée, aujourd’hui entassés dans une salle en sous-sol, ou dans la salle regroupant des dizaines d’animaux naturalisés. Ce faisant, il plonge dans l’histoire du Congo belge et rappelle les exactions et violences commises pour l’exploitation de ses richesses, tel le caoutchouc. Il commente notamment des photos des mains coupées réalisées par l’Anglaise Alice Seeley Harris, une missionnaire protestante qui, pendant des années, va dénoncer les assassinats, viols et destructions de villages perpétrés par les sociétés concessionnaires et leurs milices
On croise un autre membre de la famille flamande de Boekhat, Louis, qui gère un comptoir en se faisant payer en nature, Stanley, qui sert le monarque avec zèle, ou le Montois Léon Rom, qui gouverne par l’épouvante. Et, bien sûr, Tintin. Au début des années 30, pour son album racontant les aventures congolaises de son héros, qui personnifie "le parfait administrateur colonial" symbolisant "l’autorité, le savoir, le progrès", Hergé a en effet trouvé son inspiration dans les pièces du musée de Tervuren où il se rendait très régulièrement.
+ Christophe Boltanski, « King Kasaï », Stock, 151 p.