Myriam Leroy écrit le roman d’une héroïne inconnue enterrée au cimetière d'Ixelles: "Pour la 2e guerre mondiale, on ne cite pas les femmes"
Myriam Leroy raconte l’histoire d’une jeune exilée russe qui s’est sacrifiée pour sauver des innocents. Une héroïne de guerre très moderne, décapitée à la hache sur ordre d’Hitler.
Publié le 13-01-2023 à 19h00 - Mis à jour le 16-01-2023 à 09h07
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En 2020, Myriam Leroy découvre par hasard dans une allée du Cimetière d’Ixelles la tombe de Marina Chafroff, morte en 1942, avec la mention "décapitée". On est en plein confinement et à ce moment, la journaliste, auteure et dramaturge bruxelloise est loin d’imaginer qu’elle fera de l’histoire de cette jeune exilée russe un livre.
Le mystère de la femme sans tête est le résultat de deux ans d’enquête dans les archives de la ville, la presse collaborationniste et de résistance de l’époque, des rencontres avec le fils de Marina Chafroff, âgé aujourd’hui de 84 ans… En faisant des parallèles entre cette histoire vieille de 80 ans et aujourd’hui, en comblant les vides de l’Histoire par son imagination, elle nous présente une héroïne oubliée. Et c’est passionnant.
Avec votre roman, vous réussissez à nous intéresser à la vie sous l’occupation en Belgique. C’était pas gagné pour les plus jeunes...
Mon père nous parlait de la guerre à tous les repas. Je n’ai rien écouté. À l’école, on ne nous a pas bien expliqué tout ça. Maintenant, j’ai 40 ans, je vois les choses différemment. Les Belges n’ont jamais été forts pour s’autoglorifier, pour la mémoire. Surtout celle des femmes. Il y a quelques héroïnes de la Première Guerre mondiale, comme Edith Cavell ou Gabrielle Petit, mais c’est le brouillard pour la Seconde Guerre, on cite très peu voire pas les femmes.
C’est une enquête qui a demandé beaucoup de boulot…
Quand on n’est pas historien, on ne sait pas forcément où chercher alors ça prend plus de temps, il faut compter sur l’aide de gens de bonne volonté.
Quand vous avez commencé vous saviez que ça serait un livre ?
Non, je ne me sentais pas légitime, je ne suis pas historienne. Quand j’ai découvert la tombe, j’ai fait une story et quelqu’un a répondu qu’on ne savait pas grand-chose sur elle. Et puis une suite de coïncidences m’a encouragé à continuer l’enquête. Et à force de passer du temps dans la presse de l’époque, je me suis sentie de plus en plus légitime pour parler de la vie de cette femme. Je l’ai écrit sous forme d’un roman parce que son destin est romanesque et qu’il mérite un roman avec de la sentimentalité.
Il y a aussi des passages plus personnels qui font un parallèle avec notre époque
Oui, comme les fausses nouvelles qui étaient répandues. On pense que les fake news ça date de maintenant, mais c’est très ancien. Il y avait aussi le confinement. Ce qu’on a vécu n’a rien à voir avec la guerre bien sûr, mais à l’époque on a dû fermer les cinémas, les théâtres… Il y a aussi la montée des discours de haine. On a l’impression que c’est contemporain, mais quand on lit la presse à l’époque, c’était très violent. Dans le choix du vocabulaire, on parlait d’ « ensauvagement », on détestait des groupes entiers… Il y a une amnésie de tout ça aujourd’hui.
Qu’est-ce que Marina Chafroff vous a appris ?
Que l’Histoire, c’est la version du vainqueur. Ou du dernier qui a parlé. L’Histoire est un bras de fer et la vérité historique est variable.
+ Myriam Leroy, « Le mystère de la femme sans tête », Julliard, 286 p.