Antoine Rault nous raconte l’histoire d’un tirailleur sénégalais face aux préjugés
Le héros de " Monsieur Sénégal " d’Antoine Rault est un soldat guinéen est engagé après la guerre comme chauffeur par le médecin qui l’a soigné.
Publié le 30-12-2022 à 07h00
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Amadou n’est ni tirailleur ni Sénégalais. Et pourtant il a fait partie des "tirailleurs sénégalais", ces milliers de jeunes Africains issus des colonies françaises venus, durant la Première Guerre mondiale, se battre pour leur "patrie" dans les tranchées du nord de la France. Une fois démobilisé, ce berger peul espère pouvoir rentrer chez lui pour retrouver sa famille et la jeune fille qu’il veut épouser. Las ! Après avoir glorieusement défilé sur les Champs Élysées le 14 juillet 1919, il est obligé de rejoindre en Franche-Comté le médecin français qui lui a sauvé la vie. Cet homme malheureux en amour, qui lui témoigne une réelle affection, l’engage comme chauffeur, s’opposant à sa mère qui le traite avec mépris.
Regardé comme une curiosité
Dans cette France qui n’a jamais vu de Noirs, prisonnière de ses préjugés, Amadou est regardé comme une curiosité, voire pire. D’abord méfiante, Augustine, la gouvernante du château qui n’a jamais eu d’enfant, finit par s’attacher à lui. Et face à l’officier colonial raciste qui lui veut du mal, d’autres villageois font davantage preuve d’humanité, même s’il leur est difficile de le considérer comme un être humain égal à eux, avec sa propre culture: la baronne qui a été sa marraine de guerre lorsqu’elle était infirmière, une photographe qui l’utilise comme modèle sans se soucier de qui il est vraiment ou le curé qui entend donner des cours d’instruction religieuse à ce jeune musulman. Et encore une fillette dont le père est mort à la guerre qui lui apprend à parler le "vrai" français, bientôt relayée par son oncle, professeur d’histoire.
"Le regard que l’on porte sur l’autre, la façon dont se forment nos préjugés sont des questions m’intéressent beaucoup", explique l’auteur, marqué par le récit de la peintre Lucie Couturier qui, pendant la guerre, a côtoyé dans le sud de la France des tirailleurs sénégalais. "Et elles sont toujours d’actualité: aujourd’hui encore, notre société occidentale continue de se penser au sommet de la pyramide, regardant comme inférieur ce qui n’est pas notre culture. Notre mesure c’est notre civilisation, nos valeurs, notre niveau économique et financier, etc."
Entre les différents chapitres du roman sont intercalés des documents d’époque ou des articles de journaux traduisant la mentalité de ce temps. On peut notamment lire des recommandations faites aux officiers français sur la façon de s’adresser aux tirailleurs sénégalais dans un langage extrêmement simple, sans verbes conjugués, sans termes féminins ni pluriels, avec une forme grammaticale primaire. Curieux et intelligent, Amadou a compris que ce "petit nègre" est stigmatisant et infériorisant et que son émancipation passe par l’acquisition du français. "J’aime bien cette technique d’entrecouper le récit imaginaire d’éléments objectifs, précise Antoine Rault. Cela donne le contexte, et on voit ici qu’il était brutal. Le ‘petit nègre’, par exemple, s’est formalisé jusqu’à devenir un manuel de grammaire inculqué par l’armée française et se répandre dans la société."
Antoine Rault, « Monsieur Sénégal », Plon, 423 p.