Lionel Duroy part vers l’est à vélo, et pour ensuite « Disparaître »
De son voyage à bicyclette jusqu’à la mer Noire, Lionel Duroy a ramené un roman où ses quatre enfants occupent une place de choix.
- Publié le 08-11-2022 à 06h00
- Mis à jour le 08-11-2022 à 09h32
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Voir Stalingrad et puis disparaître. En effet, en enfourchant son vélo avec l’idée de gagner la ville russe (aujourd’hui Volgograd) célèbre pour sa résistance à l’armée hitlérienne en 1942-43, Augustin, le double romanesque de Lionel Duroy, "n’envisage pas de revenir".
Tombé malade trois jours avant son départ, lesté de sacoches bien trop lourdes, voilà le sémillant septuagénaire pédalant vers l’est. En Slovénie, une chute le conduit à l’hôpital puis chez une infirmière francophile. À Belgrade, il retrouve l’homme qui lui a servi d’interprète lorsqu’il enquêtait sur les criminels de guerre serbes (devenu le livre L’hiver des hommes). Et la lecture de la traduction française d’un roman roumain d’un certain Jean Bart, Europolis, qui raconte la vie mondaine et cosmopolite à Salina, l’amène à revoir sa destination: ce n’est pas à Stalingrad qu’il "disparaîtra", mais dans cette ville située dans le delta du Danube sur les bords de la mer Noire. D’où, pourtant, "revenu dans la vie", il partira.
Au cours de son voyage, le narrateur ne cesse d’écrire un texte où, lors d’un repas puis d’une après-midi au Jardin des plantes, il a réuni ses trois filles et son fils âgés de 24 à 36 ans, nés de ses deux femmes successives et qui n’ont quasiment pas lu ses livres. Il leur annonce son prochain départ qui les laisse stupéfaits, et surtout inquiets vu son âge. Durant ces quelques heures de liberté et de franchise, une fois de plus, il lui est reproché de n’avoir "jamais pensé qu’à lui", de s’être "toujours fichu des conséquences". Bref, de mener son "entreprise de démolition" en intégrant dans ses romans ses différentes familles, coupant entre autres ses enfants de leurs cousins, oncles et tantes.
En réalité, cette journée imaginaire, on l’a déjà lue, puisqu’elle couvre les cent premières pages du roman. Car, à la différence de ce qui y est raconté, Lionel Duroy l’a écrite avant de partir. "Elle aurait existé à titre posthume si j’étais mort, sourit-il. En pédalant, je n’arrêtais pas de penser à mes enfants et de la réécrire. Mais contrairement à ce que j’écris, je ne les ai jamais réunis, je les vois chacun en tête-à-tête. J’ai vraiment pensé qu’un jour, je partirai et que je roulerai jusqu’à tomber. Je veux mourir en bon état physique, ne pas me retrouver grabataire, me faire rattraper par la mort et ainsi faire du chagrin à mes enfants. Ce qui m’a le plus intéressé, c’est d’être pris dans ce double désir paradoxal de partir pour disparaître et d’écrire le livre de cette disparition."
Dans ce roman à l’écriture fluide, extrêmement séduisante, qui emporte le lecteur sur la selle du vélo, on retrouve les obsessions de l’auteur du Chagrin: l’écriture comme seule voie possible ("Si je suis vivant aujourd’hui, c’est parce que j’écris", plaide le père auprès d’une de ses filles) et ce besoin de toujours se confronter à l’autre, à l’ailleurs.
Lionel Duroy, « Disparaître », Mialet/Barrault, 286 p.