Anthony Passeron: "Je ne voulais pas reproduire les silences"
Une histoire familiale qui s’entremêle avec celle de la découverte du Sida. Un premier roman très personnel.
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- Publié le 24-10-2022 à 06h00
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Fin des années 70, début des années 80, la drogue fait des dégâts parmi les jeunes. Ces "enfants endormis" qu’on retrouve au petit matin dans la rue, une seringue encore plantée dans le bras, parce que dans l’empressement du manque, ils ont préféré se faire un shoot là tout de suite plutôt que d’attendre d’être rentrés à la maison. Des jeunes toxicomanes dont on ne parle pas dans les familles, et puis le Sida qui arrive avec les aiguilles souillées, dans une France rurale où on ne sait rien de cette maladie, sinon qu’on en meurt, parfois de honte.
Cette histoire, c’est celle de Désiré, l’oncle d’Anthony Passeron. Une histoire familiale qu’il a voulu raconter pour lui retirer son couvercle de honte.
Une histoire très personnelle donc, mais sur la couverture du livre il est pourtant bien écrit "roman". "Je n’ai pas voulu changer les noms et les lieux parce que ce livre, c’est raconter mon histoire et forcer ma famille à l’assumer aussi, dit le primo romancier de 39 ans. Les gens du village trouvent que c’est un bel hommage à ma famille. Alors que les gens de ma famille trouvent que tout n’est pas assez exact."
Question de point de vue ? Un peu. Le livre est repris dans la liste de plusieurs prix littéraires, comme le prix de Flore ou le prix de Décembre où il est un roman. Alors que pour la sélection du Médicis, c’est un essai.
Il y a une trame littéraire dans ce récit, il l’assume, lui qui était tout gamin quand l’oncle Désiré a succombé à cette "longue maladie" dont on ne prononçait pas nom. Il n’a pas trouvé beaucoup de gens prêts à témoigner dans sa famille. Alors il dut énormément se documenter.
« Je voulais comprendre »
Il a voulu raconter avec la rigueur d’un prof de lettres et d’histoire-géo, (qu’il enseigne dans un lycée professionnel de Nice) les découvertes des chercheurs de l’époque, en France, surtout, mais aussi aux États-Unis. "Je voulais comprendre d’où venait la maladie, parler des chercheurs, certains nobélisés, mais aussi de la France rurale et de son isolement. Dans les villages, à l’époque, on ne sait pas grand-chose du VIH Sida, il y a beaucoup d’isolement. Et en même temps, les chercheurs sont aussi isolés dans leurs laboratoires, au début, où on parle d’une maladie d’homosexuels qui ne concerne que quelques dizaines de personnes."
Le récit alterne donc le quotidien d’une famille et des chapitres extrêmement documentés sur les avancées scientifiques. Et les membres de sa famille dans tout ça ? "Ils ne sont pas tous contents qu’on revienne sur la toxicomanie de mon oncle. Mais la partie historique fait l’unanimité, ils m’ont dit: “j’ai appris plein de trucs”." Cette alternance, c’est la force du livre: on s’attache au destin de cette famille, à sa pudeur, à sa débrouille et on en apprend énormément sur le contexte historique et médical.
Alors pourquoi raconter cette histoire maintenant ? Plusieurs facteurs, très personnels, dit-il. Il a grandi dans une famille "très éloignée des livres". Devenir écrivain, il n’y pensait pas forcément. Et puis est sorti le premier livre d’Édourad Louis, En finir avec Eddy Bellegueule, en 2014. "C’était quelqu’un comme moi. Avec un milieu différent, mais j’ai compris qu’on pouvait raconter la France rurale dans une littérature moderne. Et puis, je suis devenu père et quand on a un enfant, on se pose beaucoup de questions. Je ne voulais pas reproduire les silences…"
Anthony Passeron, « Les enfants endormis », Globe, 273 p.