Leila Slimani suit ses traces marocaines
Deuxième tome de la trilogie "Le pays des autres", "Regardez-nous danser" raconte notamment la rencontre des parents de la romancière.
Publié le 26-02-2022 à 06h00
Une piscine! C'est ce qu'en ce printemps 68, Mathilde a demandé – exigé – à son mari Amine qui, après s'y être longtemps opposé, a fini par accepter. L'ancien soldat est devenu un entrepreneur agricole prospère, patron de plusieurs ouvriers, et un notable local. Aïcha, leur fille qui suit de très studieuses études de médecine à Strasbourg, région natale de sa mère, est de retour à Meknès pour quelques mois. Tandis que son jeune frère lycéen, Selim, vit une histoire d'amour passionnée avec sa tante délurée, Selma. À ces cinq-là vient bientôt se joindre Mehdi, le futur mari d'Aïcha inspiré du père de Leila Slimani, jeune révolutionnaire qui intègre le cabinet du ministre de l'Économie afin de changer les choses "de l'intérieur". Ce sont eux que nous suivons tout au long des années 70 dans Regardez-nous danser. Ce faisant, l'autrice d'Une chanson douce (Goncourt 2016) parle du Maroc tenu d'une main ferme par le roi Hassan II qui échappe à plusieurs tentatives de renversement réprimées de manière impitoyable.
Pourquoi, après deux romans contemporains, avez-vous eu besoin de vous tourner vers votre passé familial?
Je n’ai pas vécu cela comme une bifurcation. Tous mes livres tournent autour des mêmes obsessions, mais ne sont pas regardés avec la même focale. Cette trilogie, j’ai toujours su que j’allais l’écrire, il fallait juste que je me sente capable d’écrire une histoire avec beaucoup de personnages et une dimension historique. C’est comme si j’avais gagné de la confiance en moi.
Dès le départ, vous avez annoncé que ce serait une trilogie.
Cela m’intéressait énormément de travailler sur une famille et sur les conflits entre les générations. Étant passionnée, adolescente, de sagas, de fresques, j’avais envie de concrétiser ce fantasme de lectrice. Je voulais aussi regarder l’histoire de ma famille et de mon pays sur un temps long qui permet de comprendre des évolutions extrêmement complexes, comme la place des femmes, la montée de l’islamisme ou l’installation d’un régime répressif.
Pourquoi ce titre générique, «Le pays des autres»?
Il convient à la fois à toutes les époques et à tous les personnages. Amine a fait la guerre dans un pays qui n’était pas le sien, la France, tout comme Mathilde vit dans un pays autre. Cela définit également la façon dont les femmes se situent dans le «pays des hommes». Et dans ce tome-ci, le pays des autres devient celui des bourgeois, des puissants. Les masses paysannes et ouvrières ont le sentiment de vivre dans un pays qui n’est plus tout à fait le leur, gouverné selon des règles et des valeurs dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus. L’élite marocaine a en effet repris à son compte les modèles économique et culturel de la colonisation, basés sur l’exploitation, des systèmes de monopoles, la captation des richesses. Mais ce n’est pas le cas d’Amine qui est dur, sévère, mais pas du tout méprisant. Et il aime profondément la terre.
Leila Slimani, «Regardez-nous danser», Gallimard, 368 p.