Nos lectures de la semaine: Nicolas Mathieu, Jean Teulé, Sylvain Estibal…
Dans son nouveau roman, l’écrivain lorrain suit deux destins parallèles dans l’est de la France sur fond de fracture économique et sociale.
Publié le 08-02-2022 à 10h11
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Après Aux animaux la guerre, étrangement paru chez Actes Noir, la collection polar d'Actes Sud, puis Leurs enfants après eux, remarquable prix Goncourt 2018 qui met en scène la désindustrialisation de la Lorraine, le nouveau roman de Nicolas Mathieu était forcément attendu. Si Connemara, référence au célèbre tube de Michel Sardou qui jalonne la vie de l'un de ses deux héros, possède ce même regard aigu et empathique sur des hommes et des femmes qui tentent de garder le contrôle d'une existence qui leur échappe par petits bouts, il lui manque pourtant cette pointe de singularité qui faisait la richesse exceptionnelle de ses deux prédécesseurs.
Non sans mélancolie, Nicolas Mathieu raconte le temps qui passe, et qu’on ne peut ressusciter.
Hélène et Christophe ont tous deux la quarantaine. Elle a quitté Cornécourt, pour une belle maison sur les hauteurs de Nancy qu’elle occupe avec son mari et ses deux enfants. Lui, en revanche, vit toujours dans cette petite ville imaginaire située non loin d’Épinal où est né l’auteur, entre son père et le fils qu’il a eu de son éphémère compagne.

Elle travaille dans un cabinet de consulting où son éthique tend à se heurter à une réalité qui en est trop souvent dépourvue. Fascinée par sa nouvelle stagiaire qui multiplie les rencontres sur Tender, elle décide, par jeu, de s’y mettre aussi. Lui travaille actuellement pour une fabrique d’aliments pour chiens et voudrait refaire du hockey sur glace, sport qu’il a pratiqué jeune mais trop en dilettante pour y briller. Elle l’aperçoit par hasard, et ce sont son enfance et sa jeunesse qui rejaillissent en elle. Car, vingt-cinq ans auparavant, elle était très attirée par celui qui était considéré comme l’un des plus beaux garçons du lycée.
Ce sont ces années-là que Nicolas Mathieu retrace puissamment. Christophe nourrissait une passion pour le sport qu’entravait son goût tout aussi prononcé pour la boisson et pour les filles. Enfant unique, Hélène a découvert, adolescente, le monde de la bourgeoisie locale en devenant l’amie de la fille d’un "cadre" avec laquelle elle est partie en vacances sur l’île de Ré. Découvrant aussi une forme de laideur que dissimule habilement le verni social de ce milieu. À travers ce double portrait, l’écrivain met en scène, non sans mélancolie, le temps qui passe, et qu’on ne peut ressusciter.
Nicolas Mathieu, «Connemara», Actes Sud, 396 p.

Philippe Delerm: "New York sans New York" (**)
New York et sa silhouette incomparable, de l’Empire State Building à Central Park, New York et ses légendes… Philippe Delerm l’a rêvée, l’a lue, l’a vue dans des films.
Il n'y a pourtant jamais mis les pieds et il n'ira jamais: "New York, sans tout gâcher par le voyage", pour garder sa New York fantasmée.
Un recueil de textes courts sur ses impressions, ses souvenirs par procuration.
(A.Vt.)
Philippe Delerm, "New York sans New York", Seuil, 200 p.

Sylvain Estibal: "Terres voraces" (****)
Bianca, 14 ans, a disparu, probablement enlevée par un des cartels qui gangrènent le Mexique.
Désespérée par l’inaction de la police, sa mère se met à la rechercher partout, déterrant ossements et vêtements qu’elle entrepose dans son garage. En désespoir de cause, elle écrit à Lionel Messi, dont sa fille portait le maillot.
Magnifique portrait d’une femme courageuse et tenace porté par une écriture puissante, resserrée d’où se dégage une belle émotion.
(M.P.)
Sylvain Estibal, "Terres voraces", Actes Sud, 168 p.

Eliott de Gastines: "Les Confins" (****)
Les maisons incendiées, des corps carbonisés ou congelés dans la neige: c’est le spectacle qu’offrent Les Confins au printemps, après 5 mois d’isolement total. Que s’est-il passé? Pourquoi un écrivain à succès, fils de l’entrepreneur qui, 20 ans plus tôt, a voulu faire de ce village de montagne une station de ski, est-il venu s’y isoler?
D’une belle écriture non dépourvue d’humour, ce premier roman crée un suspense aussi bien agencé que glaçant.
(M.P.)
Eliott de Gastines, "Les Confins", Flammarion, 279 p.

Jean Teulé: "Azincourt par temps de pluie" (*)
Aimant passer des faits divers et des personnages historiques au tamis de son ironie volontiers irrespectueuse, l'auteur de Crénom, Baudelaire! s'est hélas embourbé, comme l'armée française, dans ce récit de l'improbable victoire anglaise à Azincourt, en 1415.
Dans ce roman bavard, explicatif et abondamment dialogué, et où il ne se passe pas grand-chose, sa verve habituellement brillante est plutôt terne et ennuyeuse. Étonnant, non?
(M.P.)
Jean Teulé, "Azincourt par temps de pluie", Mialet-Barrault, 205 p.

Paule du Bouchet: "L’annonce" (***)
"Ce que nous avions en partage réellement, je ne saurais dire", avoue l'autrice d'excellents romans pour ados lorsqu'elle apprend, avec retard et presque inopinément, la mort de Miette, son amie d'enfance.
À laquelle elle faisait "allégeance" et qui conservait un jardin secret qui lui était interdit, admet-elle en se replongeant dans ses souvenirs fragmentaires.
Une très belle évocation d’une complicité qui s’évaporera au sortir de l’adolescence.
(M.P.)
Paule du Bouchet, "L’annonce", Gallimard, 102 p.